Patrick Weil, historien, chercheur au CNRS, professeur associé à l’université de Yale (Etats-Unis), est spécialiste des questions d’immigration. Il est notamment l’auteur de Qu’est-ce qu’un Français ? et de La France et ses étrangers (Gallimard, Folio Histoire). Il analyse les différences de modèle d’intégration entre la France et l’Allemagne et replace la déclaration d’Angela Merkel dans le contexte allemand et européen.
La chancelière allemande, Angela Merkel, vient d’affirmer que le modèle d’une Allemagne multiculturelle « avait totalement échoué ». En quoi ce modèle se différencie-t-il du modèle d’intégration français ?
D’abord, il faut dire que d’autres pays européens qui ont développé un modèle multiculturaliste d’intégration, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, ont depuis peu effectué un virage et s’efforcent de valoriser l’apprentissage et le respect de valeurs communes.
L’Allemagne a effectué un premier tournant il y a dix ans. Jusqu’alors, elle ne reconnaissait pas le droit du sol, contrairement à la France, qui depuis 1889 a attribué sa nationalité aux enfants d’étrangers nés sur son territoire, indépendamment de la conservation d’une nationalité d’origine.
Outre-Rhin, le droit de la nationalité ne permettait pas aux enfants nés de parents étrangers de devenir automatiquement allemands. Se développait un multiculturalisme d’exclusion. Depuis 2000, les enfants nés de parents résidents étrangers sont allemands dès la naissance à la condition qu’ils optent pour la nationalité allemande à leur majorité. Jusqu’alors, ils ne pouvaient accéder à la nationalité qu’adultes, en passant par une procédure de naturalisation déclarative. Ce n’est donc que récemment que l’Allemagne a signifié sa volonté d’intégrer ses étrangers, d’en faire des Allemands. Or cette réforme ne produira ses effets que dans une ou deux générations.
Une autre différence avec la France se joue sur la scolarisation des enfants, qui intervient plus tardivement en Allemagne, vers 6 ans. Les Allemands n’ont pas le même système de crèches collectives que les Français. Or la scolarisation en commun, avec l’apprentissage précoce de la langue du pays d’accueil, est un important facteur d’intégration. Enfin, pour des raisons historiques, l’Allemagne s’est montrée jusqu’à récemment plus réticente que la France à propager sa culture ou même sa langue.
En France, des voix s’élèvent pour considérer qu’ici aussi l’intégration serait un échec…
C’est effectivement ce que proclament Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux ! Comme en Allemagne, il y a une dimension politicienne à ces discours. Mme Merkel subit une chute libre dans les sondages.
Pourquoi les débats se focalisent-ils sur l’immigration en Europe ?
La question des minorités est toujours agitée à des fins politiciennes dans les moments de crise. Les Européens sont confrontés à une grande incertitude sur l’avenir. Cela crée des angoisses qui peuvent être soit apaisées soit excitées par les politiques.
Dans toute l’Europe, environ 20 % de l’électorat craint que la diversification culturelle qui s’est développée depuis cinquante ans fragilise les nations. La façon de répondre à cette angoisse varie d’un pays à l’autre : contrairement à M. Sarkozy, il faut noter que Mme Merkel n’a pas initié le débat auquel elle participe. Et ce n’est pas la même chose de dire que le multiculturalisme a échoué que de créer un ministère de l’identité nationale, d’affirmer que la France paye cinquante ans d’erreur de politique migratoire, d’annoncer sa volonté de déchoir de leur nationalité des Français d’origine étrangère.
D’un côté, il y a la reconnaissance qu’il faut valoriser plutôt ce qui est commun que la différence, de l’autre il y a stigmatisation et insinuation de présence illégitime dans la communauté nationale.
Propos recueillis par Cécile Prieur