Le hold-up des Bidochons

Il y a comme ça des dates qui s’inscrivent dans la mémoire socialiste de manière irréversible.
Le 10 mai 1981, victoire de François Mitterrand. Le 28 mars 1993, la déroute des socialistes. Le 21 avril 2002, la défaite de Lionel Jospin.

Le 14 juin 2006 ne dit encore rien à la plupart de citoyens mais cette date risque bientôt de marquer les esprits et particulièrement ceux de la majorité de la diversité française.

Ce 14 juin 2006, les socialistes désignaient leurs candidats aux élections législatives de 2007. Ils devaient prendre date et acter de leur volonté à être en phase avec la société française du 21ème siècle. Ce jour, devait répondre aux exigences des françaises et des français, mettre en valeur la modernisation du Parti Socialiste par l’intronisation du mandat unique pour les parlementaires, le renouvellement générationnel des cadres politiques, l’enracinement de la parité et l’émergence de la diversité française.

Les résultats issus du vote démocratique organisé par le Parti Socialiste permettent de mesurer assez justement la difficulté de passer de l’intention à l’action.

En matière de mandat unique pour les parlementaires, proposition inscrite dans le projet des socialistes, constatons sans commentaire supplémentaire que résolution n’est pas force de loi.

En terme de renouvellement générationnel, la hauteur de la satisfaction affichée correspond à quelques pouces près à la longueur de l’arbre qui cache la forêt. L’audace et l’imagination de la jeunesse ne perturberont pas trop les mœurs ancestrales de l’Assemblée Nationale.

En signe de parité, loi et surtout financement obligent, des efforts importants sont accomplis. Convenons cependant, que le poids de certains attributs anatomiques permet de « dégeler » aussi vite qu’elles sont « gelées » des circonscriptions gagnables ou non. Il est toujours bon de ne pas trop chatouiller les susceptibilités locales pour faire vivre la synthèse jusqu’à la désignation de la candidate ou du candidat des socialistes à la présidentielle.

La palme est accordée à l’émergence de la diversité. Pas seulement parce que les résultats sont ceux qu’ils sont, c’est-à-dire pitoyables mais surtout dans la mise en exergue des moyens les plus déplorables pour contrer les candidates et les candidats dits « issus de la diversité ».

Pour sauvegarder l’intérêt général et celui de leur famille politique, les militants socialistes « issus de la diversité » ont toujours mis en retrait l’ambition légitime de porter les couleurs du Parti Socialiste A force d’entendre que les électrices et les électeurs n’étaient pas prêts à voter pour un « beur », un « black » ou un « métissé », ils avaient fini par y croire. C’était le temps de la marche des « beurs ». Pour faire évoluer la société et les mentalités, il fallait s’inscrire dans une dynamique citoyenne, montrer son attachement à la France et démontrer son incontestable intégration dans la République.

Depuis, la nomination de Ministres et Secrétaires d’Etat « issus de la diversité » par Jacques Chirac, l’évolution et la mutation incontestables de la société française, les orientations votées lors des congrès de Dijon et du Mans, laissaient penser que probablement ce qui devait être vrai au 20ème siècle, ne l’était plus aujourd’hui.

C’est ainsi, que le 14 juin 2006, des militants socialistes « issus de la diversité », acteurs de terrain, convaincus de leur capacité à porter, défendre, les valeurs de la République et le projet collectif ont soumis leur candidature au vote de leurs camarades. Des années de militantisme au moteur, des dizaines de campagne dans les pattes, des centaines de débats politiques à l’esprit, ils pensaient, à juste titre, que leur tour était venu d’avoir l’honneur de défendre les couleurs du Parti Socialiste.
Trop confiant dans la capacité du Parti à évoluer, ils avaient juste oublié qu’il n’y a pas de hasard dans la faible représentation de la diversité mais bel et bien une volonté de pérenniser une logique de partage du pouvoir entre ceux qui se considèrent seuls légitimes.
Persuadés de la justesse de leur combat, ils se sont laissés abuser par les mots de Dijon, les mots du Mans en oubliant les maux. Les maux de la loi du 23 février 2005, des quartiers populaires… Ces maux qui traversent la France de part en part parce que sa classe politique est figée dans le passé.

D’avoir si peu de mémoire donne des résultats éloquents.

Le 14 juin au soir, nombre de ces candidats n’ont pas eu besoin de longues explications pour comprendre que les principes les plus nobles peuvent être détournés par ceux qui les énoncent. Car, l’affirmation du principe de démocratie semble ne plus être qu’un subterfuge, une justification politique pour couvrir les pratiques discriminatoires conscientes ou inconscientes qui règnent dans ce parti.

Et, rester seulement dans l’affirmation du principe sans le souci de contrôle de sa réelle mise en œuvre, ne rétablira pas la confiance avec notre société.

En effet, si tous les citoyens sont égaux et également admissibles à toutes les dignités et places sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents, deux possibilités s’imposent aujourd’hui pour expliquer les résultats du 14 juin.
Soit la majorité des candidats d’origine non européenne est dépourvue de vertus et de talents, soit l’égale admissibilité à toutes les dignités et places n’est pas effective.
Confrontés chaque jour à l’excellence de beaucoup de camarades, la première hypothèse ne peut être validée. Reste la seconde, la plus probante qui renvoie chaque socialiste à sa part de responsabilité dans l’aboutissement à l’inégalité.

Habituellement, les plus amers quittaient le Parti pour aller voir ailleurs où certains ont même réussi. Les autres restaient et se rangeaient derrière la sacro-sainte démocratie, sans faire de remous. Chacun soupçonné en permanence de communautarisme latent, personne ne souhaitait, en plus, se voir suspecté d’antidémocratisme. Et puis, il y avait les promesses…
Oui mais voilà, le temps des promesses et de la marche des « beurs » est terminé. Désormais, le parti est en discussion avec des militants engagés et insensibles aux pratiques de saupoudrage et les candidats du 14 juin 2006 ne veulent plus se laisser enfermer dans une virtuelle prison de mots. Mieux, ils ont conscience que leur expression est vitale pour l’avenir de leur famille politique.
Toujours ne rien dire, toujours laisser faire, toujours accepter, loin de protéger le Parti, participe à son affaiblissement. Ce qui est fondamental, dans la démocratie, ce sont les valeurs qui la composent, le respect de la dignité humaine, des libertés, des différences et de leurs expressions. Ce qui doit être essentiel dans l’exercice démocratique, c’est l’assurance de parvenir à faire respecter l’ensemble de ces droits et pas seulement le droit de préserver les privilèges des oligarchies locales.

La bataille politique se pose aujourd’hui à ce niveau et le combat doit être mené. Désormais, il ne doit plus être possible de cautionner l’hypocrisie pour préserver des bontés particulières sous couvert de l’intérêt général du Parti. Trop de bassesses, trop d’indignités, trop de vilenies ont accompagnées les candidats « issus de la diversité » tout au long de la campagne interne. La primauté faite aux intérêts personnels et claniques, au-delà de tout sens politique, ne peut être avalisée.

A l’heure où la classe politique vit une véritable crise de confiance avec les français, il est venu le temps de nous opposer à nos propres faiblesses et prouver ainsi à nos électeurs que nous nous saisissons pleinement de leur message.
Les citoyens de France exigent de nous un souffle d’air frais pour revigorer notre démocratie et cette exigence nous impose de réussir l’émergence d’une nouvelle génération de cadres politiques à l’image de la société française du 21ème siècle.
Celles et ceux qui sont chaque jour sur le terrain que de railleries entendent-ils sur le nombre de dérogations qui vont être encore accordées, sacrifiant ainsi le non cumul des mandats, la parité sur l’autel des hommes incontournables, la jeunesse sur celui de la parité ? Et que dire de notre incapacité à acter que la société française n’est ni figée, ni réduite à sa simple expression gauloise ?

Le 10 mai 1981, jour de l’espoir suscité.
Le 28 mars 1993, jour de la débâcle sans besoin de diversité.
Le 21 avril 2002, jour du déphasage avec la société.
le 14 juin 2006, sans audace des socialistes, s’inscrira dans les mémoires comme le jour du hold up des Bidochons.

Chafia MENTALECHETA

Membre du Conseil National du Parti Socialiste
Déléguée Nationale à la citoyenneté et à la lutte contre les discriminations.
Représentante du Parlement Européen à l’observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes.

Laisser un commentaire