Le débat sur la question des discriminations est incontournable, on a déjà progressé puisqu’on a désormais quitté l’époque où Jacques Chirac, président de la République s’étonnait du fait que l’on puisse refuser l’accès d’une boite de nuit à un maghrébin et que les multiples campagnes de testing les études ont prouvé le fait discriminatoire. On sait qu’elles portent sur le logement, l’emploi, le déroulement de carrière, l’accès aux loisirs. Elles sont dues à l’origine, la race, la religion supposée, le lieu de résidence, le sexe…. A dire vrai les motifs de discriminer ne manque pas !
Elle est rarement avouée, bien que peu « pénalisée », 3 condamnations en 2010, 2 en 2009 et année faste 2002 ,11 condamnations (Source: Ministère de la Justice/ SG/ SDSE/ Exploitation du casier judiciaire) ( ! Il en est de la discrimination comme de l’alcoolisme, une pratique secrète et souvent honteusement dissimulée même quand elle est institutionnalisée. On se souvient d’Adecco recrutant pour Garnier des candidats BBR (bleu, blanc, rouge) condamné en 2011 après 5 années de procédure, ou encore d’Air France affectant ses personnels navigants en fonction de leur origine sur des destinations spécifiques. Idem pour Eurodisney mettant face au public les seuls salariés « européens ». La liste est très, trop longue Marie Diouf a2,5 fois plus de chance d’être recrutée selon une étude méticuleuse de l’Université de Stanford que Marie Diouf, un arabe à 7,5 fois plus de chance d’être contrôlé qu’un blanc européen et un noir 6,5 fois (nouvelle étude à l’initiative d’une fondation américaine)!….
Quelles propositions faire ?
1/ Mieux connaitre les discriminations :
On ne peut parler ou éradiquer que de ce qu’on connait. La prise en charge des questions de discrimination impose des études épidémiologiques, l’écueil principal et le dogme sur la non réalisation de statistiques ethniques. Etrange posture, on sait exactement comme il y a de personnes infectées par le VIH, combien il y a de téléviseurs dans le domicile des français mais il est très difficile de mesurer l’importance des discriminations en raison de l’origine, ou de la religion. Drôle de paradoxe qui fait qu’on parle d’un sujet sans la rigueur du chiffre, en vertu d’un principe républicain très respectable, on se refuse un moyen d’agir. Oui aux statistiques ethniques, Il faut être capable de lutter à armes égales. Il ne faut pas en avoir peur, il existe des moyens de sécuriser et d’anonymiser les données et les fichiers générés. Le modèle du recensement, gigantesque compilation d’informations sensibles est une bonne base. Le consentement et l’anonymat doivent être les deux seuls impératifs. Il existe des moyens de le garantir raisonnablement et plusieurs études pourraient être menées très facilement dans des quartiers défavorisés sur la base de questionnaires anonymes, le fait d’accepter d’y répondre étant déjà une preuve de consentement des participants. Ce genre de questionnaires est réalisable dans le milieu professionnel (entreprise privée et administration), dans les établissements scolaires, les structures de santé etc… Ce sont des études de ressenti, quand les résultats sont croisées avec d’autres statistiques on peut apprécier par exemple l’écart entre le ressenti et la réalité. On peut entre autre mesurer ainsi la distribution du personnel en fonction de l’origine et du diplôme.
Les Etats Unis offre la possibilité depuis les années 70 aux citoyens de s « s’auto déclarer » ou de « s’auto classer » et cela fait longtemps qu’ils se sont débarrassés du « color blindness »
Mener ces études nécessite des moyens, financiers et humains pour qu’elles se fassent. Plusieurs pistes pour cela, tout d’abord la création de bourses de recherche destinées à des doctorants pour multiplier les travaux et les réflexions sur le sujet. Bourses issues de fond publics mais pourquoi pas aussi par le recours au mécénat avec des fonds versés à une fondation de lutte contre les discriminations, en particulier par des entreprises qui y gagneront une image d’entreprise responsable et des exemptions fiscales. Cette fondation aurait vocation à lancer des appels à projets que ce soit des travaux de recherche ou des actions de lutte contre les discriminations (contrôle du fonctionnement assuré par la Cour des comptes ou le comité de la Charte)
Une étude de suivi de cohorte type étude de Framingham devrait être perpétuellement en cours avec de nouvelles inclusions d’individus pour suivre l’évolution de population, leur parcours, leurs difficultés pendant des périodes longues idéalement en partant de l’enfance ou au plus tard de l’adolescence. Au fur et à mesure du temps on aurait un formidable nombre de données.
2/ Mieux faire connaitre les discriminations au grand public :
Beaucoup de nos concitoyens ne mesurent pas l’importance ni même l’existence des discriminations. Certains ne comprennent pas la gravité des choses et sont même convaincu de bonne foi il y a une explication rationnelle au phénomène. Ils sont parfois encouragés par des discours du type : » c’est normal de contrôler plus les noirs et les arabes car tout le monde sait que la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes ». Il faut imposer le débat dans la société française, non pas pour développer une forme de repentance ou pour entretenir une victimisation, mais pour faire entendre que les discriminations sont un poison, qu’elles sont injustifiées et qu’elles sont passibles de sanctions. Développer le débat a aussi une autre vertu, prouver à ceux qui se sentent délaissés discriminés que d’une part ils ne sont pas responsable et aussi qu’on ne laisse pas faire. Ce sera la marque que l’Etat et la République sont attentifs au sujet.
Le meilleur instrument reste la télévision, on attend des campagnes de spots (sur le modèle de celles pour l’arrêt du tabac les violences routières…), des émissions de débats sur les chaines publiques, campagnes d’affichages à mener régulièrement.
Faut-il créer un ministère, un Haut Commissariat, le débat reste ouvert, mais si c’est le cas cela ne doit pas être une coquille vide et sans pouvoir comme on a pu le voir dans le passé. A sa tête il ne peut qu’y avoir une personnalité forte, compétente en la matière et doté d’une solide connaissance du sujet.
3/ Modifier les représentations sociales :
On est aujourd’hui à certains égards dans une situation proche de celle avant la révolution française. Une crise économique, et une partie de la population qui se sent exclue, une colère et un ressentiment qui vont croissant. Certaines pour des motifs économiques, d’autres en raison de leur origine, certains cumulent les deux motifs. Des pans de la population, faites de gens pourtant citoyen du même pays, ne se côtoient qu’incidemment (on peut ici regretter la disparition du service militaire).
Il est urgent de modifier un certain nombre de représentations sociales pour, si j’ose dire « les deux parties ». On doit faire admettre par tous qu’on peut avoir un père éboueur malien et être français, être descendant d’un immigré algérien et être médecin voire conseiller du président de la République sans être membre de l’énarchie qui se sentira sans doute bousculée. Enarchie dont la qualité première n’est pas pour l’instant de connaitre la diversité sociale et donc encore moins la diversité ethnique.
Pour cela il faut lancer un immense travail d’iconoclastes, c’est-à-dire de briseurs d’images.
En tout premier lieu proscrire à tout jamais l’expression « français d’origine… » qui elle a droit de cité sans vergogne contrairement aux statistiques ethniques…. On ne voudrait plus non plus entendre parler de « corps français traditionnel », terme qu’avait employé un ministre de la République dont nous sommes tous supposés être des enfants également aimés et traités.
Il faut aussi majorer dans les medias la représentation des couches sous représentées pour un reflet juste et égal de la réalité de la population française aujourd’hui. La contribution d’un Rachid Arhab présentant le journal télévisé est sans doute plus importante que toute forme de discours de lutte contre les discriminations. Un soap opéra comme « Plus belle la vie » en a fait plus pour montrer qu’une famille maghrébine est une famille comme une autre que n’importe quelle étude sociologique. Djamel Debbouz, Omar Sy etc… joue le même rôle qu’ont pu le faire Arnold et Willy aux Etats Unis ou le Cosby Show (je ne suis pas loin de penser que c’est grâce au Cosby Show que les américains ont pu voter pour Barack Obama). Imposer des visages différents et donc des références différentes que celles couramment diffusées, fera avancer un plus juste reflet de la normalité de ces éléments perçus encore trop souvent comme allogène.
La valorisation des réussites a elle aussi une double vertu, prouver à ceux qui se sentent condamnés à l’échec et au rejet que les parcours brillants, les nominations et les hautes fonctions sont possibles, mais aussi à ceux qui en doutent encore qu’on est pas obligé à cantonner les fameux « issus de » aux fonctions subalternes. Il faudrait presque des quotas dans l’attribution de décoration pour que la Nation rende hommage à ces parcours. Mais il faut aussi convenir que ce n’est pas « polytechnique ou rien », les parcours d’ascensions se font sur plusieurs générations, paysan, ouvrier des villes, puis à la génération suivante instituteur, et plus tard dans le déroulé des générations, médecin avocat, journaliste, ingénieur… Tout ne peut se faire d’une génération à l’autre, mais il doit être acquis que chaque génération doit avancer plus haut que la précédente. Seule l’école peut permettre d’y arriver.
La question de l’école permet de faire la transition vers le débat sur les quotas. Il ne peut être balayé sous prétexte d’égalité républicaine, puisque ce peut être justement une solution pour la rétablir. Comment faire quand on est dans la position on où des situations présentent un tel retard qu’il faut donner une forme de « coup de pouce » pour les corriger. De même pour ce qu’on appelle la discrimination positive, il serait d’ailleurs préférable d’utiliser le terme d’ « affirmative action », d’action positive, je dirais d’action compensatrice. Il faut clairement le dire quand les choses ne se font pas naturellement, il faut utiliser des mesures correctrices, sans imposer pour autant des quotas ethniques partout, mais dans des endroits déterminants pour l’avancée sociale. Les testings à l’entrée des boites de nuit c’est bien, mais à l’entrée de l’ENA ou de la haute fonction publique et des postes de responsabilité c’est mieux ! On voit bien l’impulsion provoquée par les mesures prises à Sciences Po il y a quelques années et qui ne sont plus contestées aujourd’hui. L’Etat a là un rôle essentiel à jouer, il ne faut pas hésiter à étendre ce genre de mesure de promotion de l’accès à l’Université et surtout aux grandes écoles. Mais il faut aussi et surtout agir à la source, c’est-à-dire l’enseignement dans les quartiers populaires, là où tout commence :-
-classes à effectif réduit,
– tutorat par des enseignants ou un adulte référent pour les enfants fragiles,
-généralisation et caractère obligatoire de l’étude,
– revalorisation de l’enseignement professionnel,
-régionalisation des offres de formation en fonction des besoins locaux,
-internat pour les enfants en difficultés, en perdition mais aussi pour « extraire » les enfants brillants qui ne trouvent pas toujours un milieu propice à leur épanouissement (il ne faut pas méconnaitre le risque de nivelisation vers le bas de celui qui est considéré comme un « bolos » et qui doit se soumettre au modèle dominant »
4/ Punir et réprimer les discriminations :
A tout seigneur, tout honneur, il faut commencer par les politiques, ceux qui ont tenu des propos où ils parlaient de sous hommes, ceux qui dans des tweets ont fait preuve d’un mépris pour des gens supposés héritiers de l’esclavage, auraient du être déchus de leur mandat. Le politique est un élu de la Nation, il a un devoir d’exemplarité et ne peut se faire l’apôtre de propos et de pratiques de cet ordre
Il faut punir les pratiques discriminatoires et le racisme. Pour cela, il faut une grande loi sur la discrimination. On dira une de plus, certes mais celle-ci dot prévoir des sanctions fortes et communiquer sur l’existence de ces sanctions. Il y a moins de 20 condamnations pour discrimination par an. Il faut souvent plusieurs années pour que les procédures aboutissent (5 ans dans la procédure contre Addeco-L’Oréal). Les procédures doivent dans ces situations où l’on doit aller vite quand il faut un logement, un emploi…, être raccourcis avec la possibilité d’une procédure en référé pour discrimination. Dans ces procédures le testing doit être reconnu comme un commencement de preuve.
Le dépôt de plainte doit être facilité et enregistrée dans les commissariats de police, l’anonymat des procédures doit être garanti pour éviter représailles, sanctions, menaces d’employeur. Le délégué départemental du défenseur des droits doit se voir doter de plus de moyens et de pouvoirs, il doit pouvoir se substituer au plaignant dans une procédure pour protéger celui-ci.
Dans la lutte contre les discriminations, la prévention par l’éducation et la prise de conscience sont indispensables, mais la sanction est incontournable, on en a pour preuve la peur et l’effet dissuasif qu’a imposé la loi Gayssot sur le racisme.
En revanche, la sagesse impose de se garder de tomber dans des excès et de voir et/ou de poursuivre par excès de la discrimination quand elle n’existerait pas, travers toujours possible.
En conclusion, le retard pris sur la lutte contre les discriminations est une faute politique et une immense erreur de gestion des ressources humaines du pays. Il est urgent d’agir contre elles ,le poison qu’elles représentes, quelles qu’elles soient d’ailleurs (sexe, âge, handicap), est tellement important, que s’ impose une attitude pragmatique et de bon sens et doit faire que l’on ne s’ interdise aucun moyen en vertu de dogmes.
La volonté et l’opiniâtreté du politique et des acteurs sociaux est indispensable, ce n’est pas une grande cause nationale, mais une grande cause qui pourrait sauver l’idée même de la Nation telle que s’en font les républicains.
Madjid Si Hocine