Monsieur le Président,
Nous, Français de France et de confession musulmane, exprimons avec force notre totale incompréhension et notre rejet unanime de votre décision irresponsable qui créera une escarre de plus dans un tissu national déjà bien meurtri par l’ancrage du FN et la mémoire des débats sur l’identité nationale.
En 2010, lorsque votre prédécesseur proposait déjà l’extension de la déchéance de la nationalité aux binationaux nés français, vous jugiez un tel projet «attentatoire» à la «tradition républicaine» et nullement «protecteur». A l’époque, vous souteniez une union nationale pour dénoncer le «cap dangereux» franchi par un certain Nicolas Sarkozy dont on vous distinguait avec soulagement.
Cinq années plus tard, vous n’hésitez pas à votre tour, sous le fallacieux prétexte d’une lutte légitime et nécessaire contre le terrorisme, à faire vôtre une proposition méprisable de l’extrême droite, validant du même coup les thèses et les visions obscurantistes de ceux-là mêmes que vous prétendez combattre.
Ce projet, s’il aboutissait, constituerait un meurtre pour une certaine vision de la République et de ses valeurs et sonnerait le glas de la cohésion nationale.
En outre, il validerait l’idée qu’il y a deux catégories de Français, certains moins français que d’autres, inégaux devant la loi.
La déchéance de la nationalité est, on le sait, une mesure parfaitement inutile pour lutter contre le terrorisme car aucune réglementation n’arrêtera les fanatiques de tous bords, ceux-là mêmes qui rejettent toute citoyenneté, brûlent leurs passeports, se prosternent devant la mort et s’inscrivent en dehors de l’Humanité. Cette mesure nous renvoie aux heures les plus sombres d’une histoire pourtant proche. Une époque peu glorieuse où un certain régime de Vichy, collaborateur des nazis,
procédait lui aussi à la déchéance de la nationalité de nos concitoyens de confession juive, de résistants et de bien d’autres citoyens français qui s’étaient levés pour défendre les valeurs républicaines et dénoncer l’ignominie nazie. Ironie de l’histoire, un général de Gaulle fut déchu de sa nationalité par un petit Pétain ! L’Histoire a retenu ces deux personnages mais dans deux registres forts éloignés. Un tel projet est nuisible pour l’ensemble de la Communauté nationale car il implique, une division indigne de l’État de droit entre les « citoyens de souche » et plus de trois millions de binationaux, légitimant à terme une discrimination entre ces deux catégories.
Président de tous les Français, vous êtes aussi garant de l’unité nationale, mise à mal aujourd’hui par ce projet de déchéance. Dans ce climat anxiogène pour l’ensemble de la Nation, une telle mesure injuste, inefficace constitue un message détestable adressé à la composante musulmane qui se voit encore un peu plus stigmatisée ; elle met à mal nos valeurs « Liberté, Égalité, Fraternité » ; elle valide les thèses d’une citoyenneté à deux étages. Il est urgent de mettre un terme à la surenchère fantasmatique qui nourrit les peurs et alimente un climat de xénophobie et d’islamophobie ambiants. Les musulmans de France et les binationaux n’ont pas à être pris en otage par des manœuvres politiciennes quelconques, ou à céder aux rites sacrificiels sur l’autel de logiques électoralistes et des discours politiciens mortifères.
La République doit reconnaître tous ses enfants, car tous, dans leur altérité et leur diversité, sont légitimes. Quand cela est nécessaire, elle doit les sanctionner de la même façon , sans distinction d’origine ou de religion en vertu de l’État de droit.
Apporter des réponses politiques aux inquiétudes légitimes des Français (emploi, insécurité,précarité…), promouvoir le vivre-ensemble, la citoyenneté, la fraternité qui font tant défaut aujourd’hui. Voilà les priorités auxquelles tout chef d’état doit s’atteler : sans quoi notre beau pays avec ses valeurs fondatrices risque de sombrer dans des logiques du pire.
Aidez ceux qui inlassablement tentent de promouvoir la confiance dans le contrat républicain auprès de ceux qui s’en sentent exclus ! Comment voulez-vous qu’on les écoute encore après un tel projet ?
Monsieur le Président, nous, citoyens français de confession musulmane, attachés aux fondements républicains et soucieux de ce vivre-ensemble, faisons nôtre la formule de Zola : « Nous ne vous connaissons pas, (….) nous n’avons contre vous ni rancune ni haine » ; ce n’est pas à nous de juger les implications désastreuses de votre politique en termes de vivre-ensemble et de cohésion sociale : vous restez comptable devant la Nation et l’Histoire jugera votre action.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de notre haute déception.
Anissa MEZITI, Présidente-Fondatrice de Agir Contre le Racisme (ACR)
Madjid Si Hocine, Médecin
Kamel MEZITI, Historien des religions
Hacen BOUKHELIFA, Avocat, ex-candidat PS aux primaires socialistes Marseille 2014
Omero MARONGIU-PERRIA, Sociologue
Kamel MAOUCHE, Avocat
Texte original paru dans l’Humanité