« Une nation se sauve, elle ne se venge pas », Danton
Le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation prévoit que la loi peut déterminer « les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ».
Le motif de cette mesure est « pour la communauté nationale de pouvoir décider de sanctionner ceux qui par leurs comportements visent à détruire le lien social. Il en va fondamentalement ainsi pour ceux qui commettent des actes de terrorisme et frappent aveuglément des victimes innocentes, en niant le respect dû à la vie humaine et les valeurs qui sont le fondement de notre Nation ».
Il s’agit d’une réponse juridique à un terrorisme se référant par imposture à l’Islam ayant endeuillé et marqué la communauté nationale les 7, 8 et 9 janvier et le 13 novembre 2015 et dont certains des exécutants sont précisément des binationaux de nationalité française.
Toutefois, la déchéance de nationalité pour les binationaux est une mesure inutile. Parce qu’elle n’empêche pas le terrorisme. En commettant un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation, la personne de nationalité française fait le choix de s’exclure de la communauté nationale. La déchéance de sa nationalité ne fera qu’acter a posteriori une situation de fait et n’aura aucun caractère dissuasif. Parce qu’elle est difficile à appliquer. Elle s’oppose au droit à une vie privée et familiale pour celui qui n’a plus aucune attache dans cet autre pays dont il a la nationalité. Elle ne prend pas en compte le refus par l’autre Etat d’accepter ce ressortissant déchu. En cas d’acceptation par l’autre Etat, elle se heurte aux risques de traitements inhumains et dégradants du fait de la nature des actes commis. Parce qu’au fond, elle ne répond pas à la question de la menace constituée par la personne en cause : celui qui a été une menace pour la communauté nationale pourra toujours l’être même s’il n’est plus de nationalité française. Cette mesure ne résout pas le problème du terrorisme et ne protège pas la communauté nationale.
La déchéance de nationalité pour les binationaux est une mesure inconséquente. Parce qu’elle déstructure la communauté nationale. Pour des mêmes faits d’atteinte grave à la vie de la Nation, outre la condamnation judiciaire encourue, il y aura deux catégories de français au lieu d’une même et seule communauté nationale, les « français/français » sans autre nationalité que française et les « français/pas français », soit les binationaux de naissance pour qui la déchéance de nationalité est prévue. Parce qu’elle fissure la communauté nationale. Au fond, le binational est sanctionné eu égard à ses origines, soit celles de ses parents ou grands-parents qui lui ont transmis cette nationalité en héritage de leur propre histoire. Parce qu’elle fragilise la communauté nationale. Cette mesure crée une brèche dans la communauté nationale en prévoyant un cas d’exception pour la déchéance de nationalité dont l’existence même permet d’imaginer une extension de son champ d’application à d’autres infractions moins graves. Cette mesure est une source intarissable de problèmes et attaque la communauté nationale.
Au final, la communauté nationale ressent un besoin viscéral et légitime de sanctionner ceux qui s’en excluent par des actes gravissimes suscitant une réprobation absolue. Mais la mesure de déchéance de nationalité pour les binationaux de naissance bien que portée par des sondages favorables est une faute politique, morale et historique car elle divise la communauté nationale au lieu de la renforcer. Ce faisant, cette mesure créé une polémique focalisant l’attention et masquant la réalité. La réalité est que nous n’avons rien fait alors que nous avons vu naître et laisser se développer depuis longtemps cette haine fanatique obscurantiste et totalitaire. Nous n’avons rien fait parce que ses nombreuses victimes humaines étaient lointaines et dans d’autres pays. Nous n’avons rien fait alors qu’elle était portée par des personnes pour lesquelles la vie, et à commencer par la leur comme celle de leurs familles, n’a plus aucune valeur alors même que la vie est sacrée. Et nous n’avons pas vu ou pu voir qu’elle se rapprochait pour nous toucher en plein cœur à Paris, ville des Lumières. En cela, nous avons été faibles et nous sommes faibles à chercher des coupables expiatoires au travers de la déchéance de nationalité des binationaux de naissance alors que la communauté nationale et le monde doivent s’attaquer aux causes et conséquences de cette haine fanatique obscurantiste et totalitaire.
La nation est forte lorsqu’elle résiste à ses propres faiblesses.
Kamel MAOUCHE
Avocat à la Cour