BERLIN, 23 oct 2009 (AFP) – Le visage grimé de noir sous une perruque
crépue, un journaliste d’investigation allemand s’est glissé pendant un an
dans la peau d’un Somalien réfugié en Allemagne: un documentaire accablant sur
le racisme au quotidien.
Dans son film « Noir sur Blanc », sorti en salles jeudi, Günter Wallraff, 67
ans, a cherché à savoir ce qu’une personne de couleur pouvait vivre ou plutôt
endurer au quotidien, en sillonnant l’Allemagne, une caméra cachée dans une
boutonnière.
Lentilles marrons masquant ses yeux azur, il incarne Kwami Ogonno, un
Somalien qui cherche à s’intégrer dans son pays d’accueil et qui fait la
plupart du temps face à des portes fermées, des mensonges, des rejets, des
humiliations, un tutoiement d’office, mais aussi des propos ouvertement
racistes.
« L’Afrique aux singes, l’Europe aux Blancs »: en Bavière, des jeunes hommes
l’empêchent d’entrer dans une discothèque. Le ton est donné dès le début du
film qui s’achève par le constat suivant: « on est presque exclusivement défini
par sa couleur de peau ».
Sans ménagement, un agent municipal le dissuade de chercher à se renseigner
pour passer son permis de chasse: « Vous partez maintenant, sinon on appelle la
police ». Lors d’une promenade en bateau, un passager assis à côté de lui lui
commande subitement deux bières alors que rien ne laisse penser que Kwami
pourrait être serveur. Cela amuse la galerie.
Tout ce qui se dit derrière son dos après ses passages dans diverses
associations ou administrations est recueilli par un équipier blanc muni
également d’une caméra cachée. Après la visite d’un appartement à louer, la
propriétaire laisse échapper un « tout noir, c’est terrible », « on ne peut pas
savoir au téléphone de quoi il a l’air ». Et on apprend que le responsable
d’une association de chiens de défense préfère multiplier par six le prix
d’adhésion pour faire fuir l’intéressé.
Regards de travers, expressions de méfiance, d’insécurité, ricanements sont
ainsi pris au piège dans un naturel qui ne trompe pas.
A plusieurs reprises, on voit des gens se lever d’un banc pour ne pas avoir
à le partager avec Kwami. Devant un tel florilège de préjugés et de scènes
racistes, les spectateurs d’une salle de cinéma berlinoise poussaient jeudi
des soupirs d’exaspération. D’autres préféraient rire pour exprimer leur
malaise.
Le film, ou plutôt la méthode Wallraff, est sujette à controverse. Certains
se demandent pourquoi l’auteur n’a pas laissé le rôle à un vrai Africain.
« Comme souvent quelqu’un parle pour nous au lieu de parler avec nous »,
déplore Tahir Della de l’Initiative des personnes noires en Allemagne (SID).
Le déguisement de Wallraff « a quelque chose de mauvais goût et de perfide ».
« Kwami ne vient pas de la vraie vie. C’est une poupée noire avec laquelle
Wallraff, qui veut éduquer la nation, joue », critique die Welt dans son
édition en ligne.
Pour Der Tagespiegel, Wallraff « fait souvent l’effet d’un clown » et le fait
« qu’il n’ait pas été découvert ne parle pas en faveur de l’ouverture des
Allemands sur le monde ».
Günter Wallraff est un habitué des métamorphoses. Dans les années 1970, il
s’était introduit quatre mois durant, dans une rédaction du quotidien
populaire allemand Bild pour en stigmatiser les méthodes de recherches et de
manipulations. Il fut aussi « Ali », le travailleur immigré turc dont il publia
les conditions de vie et de travail difficiles dans « Tête de Turc » au milieu
des années 1980.