L’identité nationale n’est pas un sujet tabou ni un gros mot. En parler est tout à fait légitime. Cependant, le débat tel qu’il nous est proposé par le gouvernement, le contexte politique dans lequel il s’insère nous conduisent tout logiquement à refuser le cadre dans lequel le gouvernement veut circonscrire un débat qui d’entrée apparaît ouvertement d’inspiration et d’intention xénophobes, propice à tous les dérapages racistes. Et tout naturellement, ainsi qu’il est posé, nous sommes conduits à refuser un tel débat et cela pour deux autres raisons.
La première. Il est porteur d’exclusion et de rejet. En effet, ce débat est une étape supplémentaire d’un processus qui plonge ses racines dans la campagne pour la présidentielle et le débat aujourd’hui initié par le président de la République trouve sa place dans un dispositif qui cherche avec la création d’un ministère de l’Immigration et de l’identité nationale à induire une relation entre immigration et identité, présentant l’immigration comme un danger et une menace pour cette identité. C’est une conception d’exclusion qui nous est présentée : l’Autre, l’immigré est considéré comme un corps étranger à la France, ce qui laisse entendre que celle-ci est minée de l’intérieur.
Par ailleurs, le fait que ce débat vient en prolongement direct de celui sur la burqa montre à l’évidence que l’initiative présidentielle ne fait que cibler davantage les populations arabo-musulmanes en les stigmatisant toujours plus. L’annexe de la circulaire adressée aux préfets ne fait d’ailleurs que donner corps à nombre de stéréotypes accentuant la construction d’une dichotomie fantasmatique entre un « eux » et un «nous » préjudiciable à un vivre ensemble dont la République doit être le catalyseur et le garant. Donner des gages aux électeurs que le président Sarkozy a réussi à siphonner au Front national n’est bien entendu pas étranger au lancement de ce débat. La proximité des élections régionales le laissent légitimement penser. Néanmoins, n’y voir qu’une instrumentalisation politicienne reste insuffisant car on assiste avec le discours de Dakar, le projet de loi sur les bienfaits du colonialisme, le projet de mise en place de statistiques ethniques, à un véritable chantier de (re ) structuration idéologique dont la cohérence n’est pas seulement dictée par des préoccupations électorales.
La seconde est que ce débat est un moyen de déplacer, de faire diversion sur les vrais problèmes qui minent et détruisent le vivre ensemble, à savoir la crise profonde et le renoncement de la République à donner corps à ses marqueurs fondamentaux qui la symbolisent, lui donnent sens et suscitent l’adhésion de tous.. Si ce débat visait à construire le vivre ensemble sans exclure, s’il posait les vrais problèmes qui menacent la cohésion sociale, à savoir les logiques de détricotage systématique des acquis, la casse programmée des droits, si le débat portait sur les moyens de remédier à l’exclusion et à la précarité, pourquoi pas ?
Mais on laisse libre cours à tous les fantasmes autour d’une identité nationale que l’on voudrait définir en la figeant à jamais, alors même qu’elle a vocation à être en perpétuelle évolution. Ils ne sont de fait que les symptômes et les révélateurs d’une grave crise des valeurs originelles et identitaires de la République. En vérité l’on assiste à une faillite des politiques dites d’intégration : Dans le contexte économique, social et politique actuel quel sens peut avoir l’égalité des droits pour les immigrés et leurs descendants ?
La persistance des discriminations économiques, sociales, institutionnelles, spatiales, y compris celles dont sont victimes leurs enfants français, a miné plus que tout autre facteur, les fondements mêmes de notre République. Crise que met également en évidence le décalage flagrant entre les affirmations d’une défense universelle des droits de l’homme, et leur négation dans la pratique que ce soit tant dans le domaine de l’immigration que dans celui du traitement de la question des sans papiers.
Ce n’est certainement pas le lancement d’un débat sur l’identité nationale propice à tous les dérapages et surenchères xénophobes qui pourra guérir la société française du malaise persistant que génère une crise d’abord économique et même existentielle. Bien au contraire, c’est d’évidence à un débat dangereux que nous convie le président de la République se comportant en l’occurrence en véritable apprenti sorcier et qui à l’instar des propos tenus par le préfet Girod de Langlade, ou par M. Brice Hortefeux, va libérer la parole raciste et favoriser voire justifier un passage à l’acte tout en installant une inquiétante bombe à retardement.
Aujourd’hui, l’exemple de la Suisse montre les dangers que génère l’instrumentalisation de la xénophobie et plus particulièrement de l’islamophobie, démarche politique irresponsable qui finit par créer des situations d’humiliation propices à des attitudes de repli communautaire portant gravement atteinte à l’unité et la cohésion sociale.
En conclusion, il nous faut poser les vrais problèmes, circonscrire avec intelligence et pédagogie, les vrais enjeux, ceux qui taraudent notre société et qui entament sa confiance dans l’avenir. Face aux menaces lourdes de conséquence que représentent la casse des services publics, le développement du chômage et de la précarité ainsi que la régression des droits, il nous faut plaider et agir pour un développement des solidarités, donner sens et vie à l’égalité et la citoyenneté, reconnaître les droits de tous ceux qui résident sur notre sol.
Contexte oblige, l’urgence est à l’apaisement en tournant délibérément le dos à ce débat tel qu’il est proposé, débat figé, corseté, inutile et dangereux. : l’identité ne se décrète pas, elle se vit et se construit de manière permanente, citoyenne, par tous, et pour tous.
Mouloud Aounit- Membre du collège de la présidence du MRAP