Il est légitime de s’interroger sur l’engouement du gouvernement, en ces temps de crise et de campagne électorale, d’engager ces débats ravageurs sur l’identité nationale et l’immigration en France. La société civile française est furieuse, embarrassée, désemparée par le climat diviseur qu’a engendré ces débats malheureux. L’immigration est-elle vraiment à l’origine de la crise et des problèmes économiques, sociaux et culturels franco-français ? Le gouvernement actuel en est-il vraiment responsable ? N’a-t-il pas d’autres mesures de bonne gouvernance à mettre en place pour améliorer et régler le mal-être des français ? Régler le chômage par le durcissement de la situation administrative des étrangers en France, est-ce vraiment la bonne méthode à suivre pour résoudre la crise ? Stigmatiser et jeter le discrédit sur l’étranger ou le français « typé » en ouvrant un débat national sur l’identité nationale est-il vraiment utile ? La France sort-elle plus grande et plus rayonnante avec ce débat malsain ?
Lancé le 2 novembre 2010, le débat sur l’identité nationale a divisé plus qu’il n’a rassemblé. Le chef du gouvernement, M. François Fillon, a, le 8 février 2010, convoqué un séminaire gouvernemental censé faire le point sur les mesures à adopter en matière d’identité nationale. Finalement la montagne a accouché d’une souris et le constat prête à la moquerie ; « Pourquoi fallait-il déchaîner tant de passions, provoquer tant de dérapages, susciter tant de légitimes suspicions, pour finir par apposer une Déclaration des droits de l’homme dans chaque classe, ou faire chanter une fois par an la Marseillaise à chaque jeune Français, sans que l’on sache très bien si ceux qui ne le sont pas devraient également entonner l’hymne national », ironisait un responsable du Parti socialiste .
Un échec politique indiscutable encaissé par le gouvernement sur ce débat national qui a animé, pendant plus de trois mois, la vie politique française. A première vue, le perdant de cet exercice semble être le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, M. Eric Besson, qui a dû mener ce chantier risqué et gérer son impact négatif sur l’image du gouvernement.
Mais à terme, le plus grand perdant pourrait être le président Nicolas Sarkozy lui-même, « qui avait sommé ses troupes, à l’automne, d’insister sur les questions de l’immigration et de l’identité en prévision des élections régionales » . Selon l’hebdomadaire Le Point, la manœuvre visait à plaire aux électeurs d’extrême droite. Pourtant, les derniers sondages indiquent que la gauche, déjà aux commandes dans la plupart des régions, se dirige vers une large victoire.
Ce débat, en effet, sur l’identité nationale était perçu comme une manœuvre. Près de trois Français sur quatre perçoivent le débat sur l’identité nationale comme une stratégie pour gagner les élections régionales de mars 2010 .Les personnes interrogées par l’institut français d’opinion publique Ifop sont 72% à avoir cette opinion. Quarante-trois pour cent estiment qu’il aura pour effet de remettre le Front national au centre du débat politique, alors que 57% sont d’un avis contraire.
Le 12 février 2010, cet omniprésent ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale est revenu sur la scène médiatique avec l’annonce du lancement d’un nouveau chantier qui concerne le droit des étrangers en France et qui vise encore une fois à restreindre leurs droits.
Il annonce un avant projet de loi qui accroîtra la « latitude de l’administration pour procéder à des mesures d’éloignement » .
Ce texte intitulé « loi de transposition de directives relatives à l’entrée et au séjour des étrangers et de simplification des procédures d’éloignement », qui devrait être présenté en conseil des ministres courant mars 2010, émane des dispositions de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 « retour forcé ».
Il prévoit la création de zones d’attente ad hoc et permet à l’administration d’ordonner la mise en œuvre d’une zone d’attente dans un lieu où sont découvert « un ou plusieurs étrangers » arrivés « à la frontière en dehors d’un point de passage frontalier ».
Il stipule une accélération du processus d’éloignement avec la réduction, sans précédant, du délai de recours devant le juge administratif contre un refus de séjour accompagné d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) d’un mois à 48 heures.
Ce texte envisage de mettre en place une interdiction de retour sur le territoire français. Ce principe est évidemment prévu dans la directive européenne. L’administration pourra désormais assortir l’OQTF d’une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée maximale de trois ans. « Si l’étranger se maintient sur le territoire malgré son avis d’expulsion, ou s’il revient prématurément sur le territoire français, cette durée sera prolongée de deux ans ». Par ailleurs, le juge des libertés et de la détention est notamment habilité à se prononcer sur la privation de liberté des étrangers en situation irrégulière. L’avant projet « restreint fortement ses prérogatives et son intervention doit se prononcer sur le maintien en rétention des étrangers devra se faire dans les 5 jours après le placement en rétention, contre 48 heures actuellement. Il pourra prolonger la rétention de 20 jours, au lieu de 15 aujourd’hui. Au terme de ce nouveau délai, la rétention pourra encore être prolongée de 20 autres jours. La durée maximale de rétention passe ainsi de 32 à 45 jours » !
Ces mesures pressenties résoudront-elles les vrais problèmes des Français ? Pas si sur.
Le gouvernement actuel, en campagne électorale, est en panne d’innovation intellectuelle et politique pour sortir la France de sa crise. Est-il à l’écoute des français ? Apprend-t-il les mauvaises leçons du passé ? La société BNP-Paribas renoue avec le profit et les bénéfices et a doublé son bénéfice en 2009 (5,8 milliards d’euros). Elle a en effet provisionné un milliard d’euros pour les bonus de ses 4.000 traders. Une somme de 500 millions sera versée en mars 2010, soit une moyenne de 125.000 euros par personne, tandis que les 500 autres millions d’euros seront distribués sous forme d’actions. Pourtant, en 2009, les banques ont engrangé de gros profits grâce à l’aide des Etats. Une régulation était promise et qui devait passer par une loi. Où en est-on avec ce texte de loi ? Le gouvernement envisage-t-il la mise en œuvre d’un avant projet de loi avant mars ?
De plus, la France a connu en 2009 une saignée record du nombre d’emplois salariés depuis au moins vingt ans. Que fait actuellement le gouvernement pour freiner l’hémorragie du chômage ? Le 12 février 2010, l’Institut national de la statistique et des études économiques Insee a précisé : « C’est du jamais vu depuis que les séries longues emploi par secteur d’activité ont démarré en 1989 » . Cela ramène à 16,019 millions le nombre de salariés, hors agriculture, administration, éducation, santé, action sociale, soit -412.000 postes par rapport à 2008 (-2,5%). Le chiffre est susceptible d’être révisé le 11 mars 2010.
Enfin, la question des banlieues qui constitue un problème d’inégalité d’accès aux services publics, de discrimination en raison de l’origine sociale est un combat qui doit être mené au long terme. Est-elle vraiment prise en charge ? Donnons-nous les moyens nécessaires pour diminuer l’inégalité sociale en France ?
Il semble que le gouvernement devrait examiner ces questions en priorité avant de lancer des débats inutiles qui ne font que diviser la société française et la leurrer sur les vrais enjeux qui amélioreront le sentiment de bien être de ces habitants.
Par Fayçal Megherbi
Docteur en droit et conseiller juridique dans une ONG à Paris