«Paris vaut bien une messe », avait dit Henri IV. L’Élysée vaudrait-il ce que l’on est en train de voir ? Ainsi donc, le président de la République, engagé dans un mano a mano avec Marine Le Pen, tétanisé par la peur d’un 21 avril à l’envers, semble prêt à asseoir sa réélection sur un déchaînement d’annonces sécuritaires souvent toutes plus irréalisables les unes que les autres. Peu importent les conséquences, semble-t-il, et il est d’ailleurs suivi en cela par ministres et députés tous plus jaloux des faveurs présidentielles les uns que les autres.
Mais cette bouffée fébrile estivale ne doit pas être regardée comme un épiphénomène. Il y a en effet une continuité entre le discours de La Courneuve et celui de Grenoble. Une stratégie bien construite qui a pour but de rallumer un éclat terni. Il y a toujours quelques bons points à prendre dans les sondages, peu importe si c’est au prix d’un flirt toujours de plus en plus intime avec l’extrême droite. Les moutons qu’on égorge dans les baignoires résonnent avec les menaces de déchéance de la nationalité, c’est toujours la même la corde sur laquelle on joue, celle d’un racisme qui n’en demandait pas tant pour se réveiller.
On a d’ailleurs voulu lui donner une sorte de corpus presque scientifique par le trop fameux débat sur l’identité nationale qui s’est terminé par une pantalonnade et auquel plus personne ne fait référence, y compris ceux qui en ont été les promoteurs ! Un ministre de la République a été condamné pour injure raciste, fait sans précédent. La France est montrée du doigt dans les instances internationales, brocardée dans la presse mondiale, peu importe ! La route est droite et rien n’infléchit pour l’instant la détermination présidentielle.
La France, pays des droits de l’homme ? La situation actuelle ne constitue-elle pas une atteinte à notre identité nationale ? Qui eut cru que le New York Times aurait pu un jour fustiger ce qu’il appelle la politique xénophobe de la France ?
Certes, on objectera que l’on ne peut tolérer que la loi soit bafouée par des voyous, que l’on autorise n’importe qui à s’installer anarchiquement sur des terrains, que force doit rester au droit. Effectivement, ce n’est pas cela qui est remis en cause, mais plutôt l’utilisation qui est faite de cette pseudo-volonté d’un retour à l’ordre, le recours à la stigmatisation, au cliché raciste de comptoir. Le terrain est fertile en période de crise et la parole raciste n’en avait pas besoin. Jean-Marie Le Pen, au soir de sa carrière politique, peut se réjouir, la « lepénisation des esprits » n’est plus une vue de l’esprit, c’est sans doute sa plus belle réussite : ce qu’il disait il y a vingt ans, déclenchant un tollé, se dit aujourd’hui de la manière la plus naturelle, y compris au sommet de l’État, le « ils ne sont pas comme nous » est devenu une évidence, point de salut d’ailleurs pour eux – comme en a fait la triste expérience Amine, l’Auvergnat de l’UMP.
Ensuite, comment oser parler de lutte contre les discriminations, d’intégration ? Les Français du deuxième collège, les Français à points et leurs descendants n’en sont pas dupes ! Quelle sera la prochaine étape, quelle nouvelle transgression nous prépare-t-on après cette descente aux enfers si continue que l’on ne peut plus la qualifier de dérapage ?
On finira bien par enclencher le cycle infernal : provocation-violence-répression. Il est temps pour les citoyens, de droite comme de gauche, qui ont à cœur de préserver la grandeur de notre pays et ses valeurs, de s’organiser et de se fédérer indépendamment de leurs différences.
Il en va de la sauvegarde des valeurs de la République, désormais abîmée et gravement blessée par cette politique tout aussi dangereuse qu’irresponsable, inutile et inefficace. Ainsi nous préserverons ce qui fait que nous sommes réellement français, cette capacité à dire « non », comme Georges Mandel, un de ces quatre-vingts députés qui votèrent non en juin 1940 et dont le dernier biographe est Nicolas Sarkozy.
Par Madjid Si Hocine, médecin, militant antiraciste, et Mouloud Aounit, Coprésident du MRAP.