L’opposant islamiste tunisien Rached Ghannouchi est attendu dimanche midi dans son pays après plus de 20 ans d’exil, un retour test dans la Tunisie de l’après Ben Ali, le président déchu qui avait impitoyablement maté les islamistes au début des années 90.
Rached Ghannouchi, qui a quitté Londres dans la matinée en compagnie notamment d’une de ses filles, s’est déclaré juste avant son départ « très heureux ». « Je rentre à la maison aujourd’hui, mais je retourne aussi dans le monde arabe », a déclaré le quasi septuagénaire.
Un porte-parole du mouvement Ennahda fondé par Rached Ghannouchi en 1981 assurait dernièrement que ce retour dans la Tunisie post-Ben Ali ne serait pas « triomphal » et qu’au contraire Ghannouchi voulait simplement revenir comme « un homme libre ».
Toutefois, au moment d’abandonner son exil londonien et après avoir posé tout sourire sur fond de drapeau tunisien, le vieux leader est apparu très politique: « je suis toujours le dirigeant de mon parti. S’il y a des élections libres et équitables, des législatives mais pas la présidentielle, Ennahda y participera ».
Sur la situation de la Tunisie après la chute brutale et la fuite le 14 janvier de Zine El Abidine Ben Ali, Ghannouchi est assez critique: « Il y a une certaine confusion. Le gouvernement de transition change de ministres tous les jours, n’est pas stable et ses pouvoirs ne sont pas encore clairs », juge-t-il en réclamant à nouveau un « gouvernement d’union nationale ».
C’est cependant grâce aux autorités de transition, qui ont décrété une amnistie générale le 20 janvier, que la bête noire du régime Ben Ali a finalement pu revenir.
Lors du premier conseil des ministres de l’après Ben Ali, l’exécutif provisoire avait adopté un projet de loi d’amnistie générale incluant les islamistes.
Ce texte n’a pas encore été voté par le Parlement, très largement dominé par l’ancien parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) mais cela ne devrait toutefois pas constituer un obstacle à son retour.
Un retour sur lequel il veut se montrer rassurant, tant de nombreux secteurs de la société tunisienne, redoutent l’arrivée du dirigeant islamiste: « la charia (la loi islamique) n’a pas sa place en Tunisie » et « la peur est uniquement basée sur l’ignorance » qu’il impute à la politique de diabolisation de son mouvement par Ben Ali.
Juste à la veille de son départ, des centaines de femmes avaient manifesté samedi à Tunis pour défendre l’émancipation acquise depuis plus d’un demi-siècle.
« Nous sommes là pour affirmer les droits acquis de la femme et éviter tout retour en arrière, pour dire que nous ne sommes pas prêtes à négocier notre liberté avec les islamistes », a affirmé Amel Betaib, une avocate.
Dimanche matin Naïma, une femme d’une cinquantaine d’années portant le voile refusait « catégoriquement » son retour. « Plusieurs personnes ont été incarcérées à cause de lui, des jeunes se sont vu privés d’avenir. Personne n’est content de son retour. Il a mené la belle vie à Londres pendant que d’autres payaient le prix fort à Tunis ».
Rached Ghannouchi a fondé en 1981 Ennahda (Renaissance) avec des intellectuels inspirés par les Frères musulmans égyptiens, et dit aujourd’hui représenter un islam modéré proche du parti AKP turc.
Toléré au début de l’ère Ben Ali en 1987, son mouvement avait été réprimé après les législatives de 1989, où les listes qu’il soutenait avait recueilli au moins 17% des suffrages. Environ 30.000 militants et sympathisants islamistes avaient été arrêtés dans les années 90.
Ghannouchi avait alors quitté la Tunisie pour l’Algérie, puis Londres. En 1992, il avait été condamné par défaut à la prison à perpétuité pour un complot contre le président.