Lors de la campagne électorale, la discrétion de François Hollande sur des sujets aussi importants que les discriminations, l’égalité effective des droits ou la lutte contre la xénophobie d’Etat instituée en doctrine de gouvernement par Nicolas Sarkozy et ses ministres de l’Intérieur successifs laissait déjà entendre que des engagements forts sur ces questions n’étaient pas à l’ordre du jour. Pourtant la redéfinition d’une politique ambitieuse, à même de répondre aux attentes de tous ceux qui avaient eu à souffrir des effets désastreux d’une politique centrée principalement sur la stigmatisation de catégories ciblées de citoyens –musulmans et Roms principalement- appartenant aux populations les plus fragiles et les plus vulnérables, aurait dû représenter un axe fort du programme du candidat comme la régularisation des sans papiers, victimes d’une chasse honteuse exacerbée par la politique du chiffre.
La nomination de Manuel Valls comme ministre de l’Intérieur – lui qui, par bien des aspects n’a pas craint d’instrumentaliser le thème de l’insécurité ou du moins d’en faire un thème central de son positionnement politique-, est un signe évident et manifeste que le nouveau gouvernement entend, certes de façon plus « soft », poursuivre la même politique que celle du gouvernement précédent jusqu’à mettre en quelque sorte les pieds dans les traces du sarkozysme. Cette nomination apparaît comme un gage donné à un électorat sensible aux discours de l’extrême droite sur l’insécurité. Loin d’inaugurer une nouvelle approche de ces questions essentielles pour la restauration d’un véritable vivre ensemble, cette nomination laisse supposer, qu’en ce domaine, la rupture avec le sarkozysme n’est pas une priorité du nouveau gouvernement.
Ce sentiment de continuité avec la politique précédemment menée se trouve renforcé par le fait que, comme auparavant, le ministre de l’Intérieur se voit également en charge de l’immigration. Rattachement décidé sous Sarkozy, décision contestée à l’époque, mais qui se voit malencontreusement confirmé sous la présidence Hollande. Alors qu’une approche nouvelle et débarrassée de tout amalgame entre immigration et insécurité mérite d’être engagée, ce rattachement au ministère de l’Intérieur ne marque-t-il pas la volonté de cantonner la question de l’immigration et de ses solutions à la seule dimension policière, dans le droit fil du sarkozysme voire de l’extrême droite ?
Promouvoir en matière d’immigration une politique nouvelle rompant avec la politique des quotas qui ne répond qu’aux intérêts les plus égoïstes des pays d’accueil, est une exigence qui ne semble pas être prise en compte par le nouveau gouvernement dès lors que l’immigration se trouve rattachée au ministère de l’Intérieur. Considérer les immigrés du seul point de vue de la rentabilité capitaliste, en instituant une main d’œuvre de sans-droits, jetable, c’est ouvrir grand la porte à l’exploitation maximum, à une nouvelle forme d’esclavage moderne. En ce domaine, la rupture doit être claire et franche et la régularisation de tous les sans papiers doit être un des premiers actes symbolique et fondateur d’une autre politique.
Le nouveau ministre de l’Intérieur est-il à ce niveau la personne la mieux qualifiée pour mener à bien cette rupture ? Ses positionnements antérieurs comme certaines de ses inadmissibles déclarations ont de quoi semer le doute sur la capacité et la volonté de changement du gouvernement.
Aujourd’hui le ministre de l’Intérieur se doit également de répondre aux attentes des habitants des quartiers populaires souvent « d’origine immigrée », appellation qui en dit long sur les difficultés à considérer comme Français à part entière ces Français mis à part.
Egalité des droits, lutte contre les discriminations, mise hors la loi des violences policières, interdiction des contrôles au faciès, abrogation des lois anti-immigrés, fermeture des centres de rétention, lutte contre l’islamophobie, droits des migrants, promotion d’une laïcité ouverte à l’opposé d’une laïcité qui exclut (le ministre de l’Intérieur ayant en charge les cultes), restauration des valeurs républicaines et leur application effective …Dans tous ces domaines, il est urgent d’agir fort en affichant une volonté inébranlable d’assurer la rupture avec la période précédente. Il est urgent d’agir sans retard car on sait ce qu’il advient des promesses remises à plus tard comme il en a été du droit de vote des immigrés. Cette promesse de François Mitterrand, renouvelée par François Hollande, et qui ne doit pas connaître le même sort…
La proximité des élections législatives, dans la logique électoraliste qui semble prévaloir au Parti socialiste, ne peut servir d’excuse pour différer dans le temps une remise en cause fondamentale des politiques menées dernièrement par la droite sous l’influence de l’extrême droite.
Il est hors de question de remettre à demain la satisfaction des revendications de justice, d’égalité et de dignité partagées par l’ensemble des immigrés et des habitants des quartiers populaires. Solidaires de ces combats, n’entrons pas dans une logique électoraliste qui ne peut entraîner que reculs et abandons.
Mouloud Aounit
Président d’honneur du MRAP