Une année après l’embrasement des quartiers populaires de la périphérie des grandes villes et quelques jours après le dépôt des Cahiers de doléances à l’Assemblée nationale, la question de l’égalité est là, concrète. La rhétorique égalitaire ne suffit plus : notre rassemblement unitaire antilibéral doit mettre en avant les moyens et les mesures qu’il entend prendre pour mettre un terme à la ségrégation et pour assurer l’accès à l’égalité des citoyens discriminés en raison de la couleur de leur peau, de l’étrangeté de leur patronyme, de leur ghetto de résidence, ou de leur sexe.
Les faits sont là : la société française sécrète et reproduit des inégalités et des ségrégations qui sont à la fois de classe, ethniques et de genre, et la nationalité française ne fait pas disparaître ipso facto les obstacles spécifiques rencontrés par les « jeunes Français d’origine étrangère » sur le marché du travail ou de l’habitat. Le traitement de ces discriminations ne relève donc pas uniquement de mesures politiques générales fortes – par ailleurs indispensables (droit de vote, naturalisation massive, politique de la ville, lutte contre le chômage, etc.). « Ne compter que sur des politiques générales de croissance économique équitable pour éliminer ces inégalités collectives prendrait un temps insupportablement long », constate d’ailleurs le PNUD dans un rapport.
L’expérience montre que pour gripper la machine à reproduire les discriminations, les indispensables politiques économiques et sociales redistributives ne suffisent pas. C’est là que les politiques dite de « correction des inégalités », ou de « discrimination positive » – peu importe le nom qu’on leur donne – interviennent car elles visent à construire l’égalité des droits en comblant le gouffre séparant l’inégalité réelle de l’égalité proclamée. La puissance publique doit être mobilisée avec des trains de mesures spécifiques pour « réparer », « corriger », « compenser », « contrebalancer », « inverser » les effets des discriminations ethniques ou sexuées. Dans cette optique, l’égalité est donc à la fois un principe et un objectif, un mot d’ordre d’action et un projet.
Pourquoi ne prendrait-on pas des mesures correctrices et « égalisatrices » permettant le recrutement et la formation de salariés et de fonctionnaires issus des « minorités invisibles » ? Ne pourrait-on pas pratiquer sur les chaînes de télévision ce qui se fait en Grande-Bretagne où les sociétés qui sont candidates à la gestion des chaînes doivent présenter les « engagements pris pour promouvoir au sein du personnel l’égalité des chances entre hommes et femmes et entre personnes de différents groupes ethniques » ? Ne pourrait-on pas envisager des politiques similaires à France Télécom, dans la Fonction publique et ailleurs ? Ne pourrait-on pas renforcer et étendre les dispositions qui permettent aux comités d’entreprise de peser sur l’égalité hommes / femmes ? Toute entreprise de plus de cinquante salariés, l’employeur est dans l’obligation de soumettre une fois par an au comité d’entreprise, aux délégués du personnel, aux délégués syndicaux et à tout salarié qui en fait la demande, un rapport comparatif sur les conditions générales d’emploi et de formation des hommes et des femmes au sein de l’entreprise. Ce document permet d’apprécier pour chacune des catégories professionnelles la situation respective des femmes et des hommes en ce qui concerne l’embauche, la promotion, la classification, la qualification, la rémunération. Il recense les mesures prises en vue d’assurer l’égalité et énumère les objectifs prévus. La loi du 9 mai 2001 stipule d’ailleurs que les partenaires sociaux doivent négocier périodiquement des objectifs chiffrés et des mesures de rattrapage. Rien à voir avec des quotas – spectre agité périodiquement – puisqu’il s’agit ici d’objectifs à atteindre. Reste évidemment à assortir ces dispositions d’une obligation de résultat.
Ne pourrait-on pas envisager enfin la mise en place sous contrôle démocratique de comités d’« égalité des droits » dans les villes, les départements, dans les administrations, les ANPE ? Ils auraient pour fonction de contrôler les embauches et les promotions, de rappeler que la discrimination est interdite, de recueillir les doléances, de les examiner, de faire si possible œuvre de conciliation, de recommander des sanctions et surtout d’établir des objectifs chiffrés, seuls critères objectifs qui permettent d’évaluer les efforts déployés. Ainsi, par exemple, la CGT illustre sa prise en compte de la problématique quand elle évoque les moyens de lutter contre les discriminations : « Le préjudice est évalué et un système de rattrapage est mis en route ».
Il est temps de donner un signal fort – plus fort que les sempiternels effets de manche des tenants du système rappelant le principe d’égalité – qui montre la volonté de notre rassemblement d’enrayer la spirale infernale de la ségrégation et de la discrimination. L’universalisme n’est pas encore advenu, c’est un projet en construction et en devenir et, d’une certaine façon, une utopie de combat qui est l’horizon du rassemblement antilibéral que nous construisons.
Il est temps que soit organisé un véritable débat public qui puisse éclairer les citoyens sur les réalités d’une politique de construction de l’égalité dans un pays comme le nôtre. Quels en seraient les principes ? Qui en seraient les bénéficiaires ? Quels en seraient les critères d’application ? Quelles en seraient les obligations ? Quels en seraient les fondements juridiques et constitutionnels ? Quels en seraient les «effets pervers» éventuels ? Notre horizon est l’égalité. Eclairons-le chemin pour y parvenir !