La lecture régulière du « Bulletin Officiel » depuis l’arrivée de la gauche aux responsabilités est hélas édifiante. Des centaines de nominations, de promotions, de décorations sans que ne figurent nulle part des noms de « Français d’origine étrangère particulière »; ceux qu’on appelle tantôt « issus de l’immigration », tantôt « issus de la diversité », tantôt « minorité visible » comme pour exprimer une proximité encombrante et une réticence quasi obsessionnelle à leur égard ; le cousin benêt utile aux champs et gênant les jours de fête.
Cela explique pourquoi il y a chez eux depuis quelques mois, un sentiment d’abandon et de lâchage. Ces citoyens « inutiles » hors périodes électorales, sont inquiets depuis que le Gouvernement Socialiste a retrouvé ses vieux démons : cette fâcheuse tendance à sous-traiter à son aile gauche par manque de courage évident, le dialogue avec ses « minorités ». Ce sont le PC, le Front de Gauche et les Ecologistes qui ont la charge du baiser aux lépreux. Les Noirs et les Arabes entre autres, et tous les « indissolubles dans la République » sont invités à mieux faire encore lors des prochaines élections pour mériter un « bon point ».
Dans l’intervalle, ils sont priés de se faire oublier et de ne pas trop s’approcher de l’Elysée, de Matignon ni même de Solférino, là où ils ont envoyé un des leurs, pourtant familier des combats contre l’injustice et les inégalités. Ils se sont même pris à rêver comme l’ont fait les Noirs d’Amérique et les damnés de la terre qui ont cru, en voyant arriver Obama, Condoleeza Rice et Colin Powell, des hommes et des femmes qui leur ressemblent, que c’en serait fini désormais du racisme et de la discrimination. Comme eux, ils durent déchanter. Pauvres descendants d’immigrés qui ont aidé La Gauche à prendre l’Elysée avec l’espoir qu’il serait permis pour les meilleurs d’entre eux, d’en arpenter les allées un jour, à l’issue d’une compétition saine et loyale entre tous les enfants de la République. Non pas au nom d’on ne sait quelle séquence particulière, mais sur les seuls critères de la compétence et du mérite. Leur crainte de subir les fourches caudines de la Confrérie des Enarques et d’un Gouvernement Socialiste pas encore décomplexé, finit aujourd’hui par ressembler à de la paranoïa, tant l’actualité leur donne raison chaque jour.
En effet comment expliquer leur absence totale des nominations à des postes importants depuis l’arrivée de la Gauche au Pouvoir ?
Comment comprendre autrement, leur absence troublante dans les dernières charrettes de promotion telles que le « Haut Comité pour l’Egalité entre les Hommes et les Femmes », où aucun de leurs semblables n’a été jugé digne de figurer ne serait-ce que par respect de la « diversité »? Fallait-il en déduire par là que leurs gênes les gêneraient dans ce genre de combat au point d’en conclure qu’ils n’auraient pas de dispositions naturelles pour ce type d’égalité ?
Comment comprendre leur absence inquiétante du prochain CSA, car au vu des nominations déjà connues, on semble s’orienter là aussi vers un ostracisme qui ne dira pas son nom ? Et là aussi, Il semble qu’on soit décidé à faire peu de cas d’une juste représentativité, mauvaise manière dans tous les cas, faite à un électorat qui aura été déterminant pour ramener la gauche au pouvoir. Les esprits chagrins ne pourront éviter de se demander s’il ne faut pas s’arranger pour mourir en soldat français d’origine maghrébine sous les balles d’un Mérah, pour mériter de figurer sur la dernière liste des médaillés de la légion d’honneur.
Seraient-ce des raisons suffisantes pour s’imaginer pour autant qu’ils auraient des ennemis dans les cercles du Pouvoir ? Hypothèse qu’il faudrait écarter logiquement et immédiatement pour deux raisons : par souci de salubrité publique et pour conjurer le malheur à venir.
Salubrité publique, pour éviter de penser que les Socialistes ignorent la reconnaissance du ventre en oubliant le vote décisif des oubliés de la République, sans qui la Gauche ne serait pas aux affaires.
Conjuration du malheur, pour éviter les réactions de désespoir et jeter sur les routes des hommes et des femmes qui n’auraient d’autre choix que de ne plus voter ou de suivre le même chemin que l’électorat ouvrier et enseignant qui s’est jeté corps et biens dans la nasse du F.N, pour des raisons de promesses non tenues.
Tous ces signes ne lassent pas d’inquiéter sur l’existence possible d’un véritable barrage. Se poser la question ne traduit ni le désespoir, ni le découragement car, passé les moments de déception, le questionnement pourrait signifier que ces élites, de plus en plus nombreuses et de plus en plus rompues à l’approche pragmatique en politique, refuseront dorénavant de se laisser bercer d’illusions et seraient prêtes à « monnayer » – osons le mot – leurs talents, aux forces politiques qui leur garantiraient respect, considération et surtout, fidélité aux engagements souscrits devant le pays témoin, sans état d’âme aucun.
Ils seraient tentés de choisir l’exil, existentiel celui-là, vers des pays où le talent n’a ni odeur, ni couleur, pour dire à leur corps défendant qu’ils quittent leur pays à cause d’une terrible envie de participer eux aussi à l’évolution du monde. Il leur resterait alors un petit pincement au cœur, celui de ne pas apporter à leurs petits frères restés au pays, la preuve que tout est possible quand on a décidé de le vouloir et que « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Un air combien de fois entendu dans les réunions de section ou quand ils collaient les affiches à la gloire des Socialistes et qui les mobilise toujours, par delà les reniements et les trahisons qu’ils n’auront de cesse de dénoncer, et maintenant de combattre.
Signataires
•Rokhaya Diallo, Editorialiste
•Madjid Si Hocine, médecin, animateur d’Egalité d’Abord
•François Durpaire, président du Mouvement Pluricitoyen
•Amine Benyamina, psychiatre-addictologue
•Nadia Bey, journaliste
Texte paru dans le Huffington Post