Au soir du premier tour des élections régionales, la présidente de Front National appelait les électeurs à « rejoindre un grand mouvement de redressement populaire et national ». Comment ne pas entendre là le triste écho de Philippe Pétain qui « conviait » les français à « un redressement intellectuel et moral». Le Front National récuse cette filiation honteuse pourtant de nombreuses similitudes de valeurs, de méthodes, d’objectifs existent et ne doivent rien au hasard. Nous devons aujourd’hui alors que le Front National est en passe de gagner plusieurs régions les rappeler avec force car chaque fois que l’extrême droite a pris le pouvoir et a installé un régime autoritaire, les conséquences ont toujours été les mêmes : un désastre pour la France et sa population.
Si les sympathisants du Front National ne sont pas pétainistes, ce parti l’est sous certains aspects, et ce même si les conditions historiques, sociales et économiques de son origine sont différentes. Il est mu par les mêmes ressorts de propagande, les mêmes principes, les mêmes valeurs, il propose les mêmes solutions qui n’en sont pas.
Parti populiste par nature, le « peuple » y est flatté, glorifié. Sa cheffe lui rappelle qu’il peut être « fier » de ses choix et affirme qu’elle a « confiance dans sa clairvoyance et sa maturité ». Pourtant ce peuple, le Front National le manipule sans scrupule en instrumentalisant ses peurs, quitte même à les nourrir en évoquant l’affaiblissement, l’encerclement et l’envahissement migratoire d’une France qui serait devenue une société « décadente et égoïste ». Autant de maux qui exigeraient un sursaut pour que la « France relève la tête ». « Les patriotes » et « les nationaux » aimant leur pays n’auraient alors d’autres solutions pour se défendre et « reconquérir les territoires oubliés de la République » que de faire leurs les propositions de ce parti au nom de « l’intérêt national ». Vieille ficelle que voilà. Déjà en 40, Laval déclarait dans l’exposé des motifs au projet de loi constitutionnelle confiant les pleins pouvoirs à Pétain « Au moment le plus cruel de son histoire, la France doit comprendre et accepter la nécessité d’une révolution nationale ». Comme hier, les réactionnaires accusaient simultanément le parlementarisme, les valeurs républicaines, les élites intellectuelles et urbaines, les juifs, les francs-maçons, la modernité, l’internationalisme, l’individualisme d’être les responsables de la défaite de la France, le Front National a trouvé et stigmatisé les responsables supposés du déclin du pays. la présidente du Front National dénonce pêle-mêle un « système à bout de souffle fait d’incompétences et de connivences », les « féodalités politiques et médiatiques », la mondialisation , les immigrés, les institutions européennes anti françaises, la dilution des mœurs et des valeurs de la France. « Il faut tourner le dos à cette classe politique qui trompe les électeurs » nous dit-elle. En 40, on évoquait déjà « la nécessité d’une réforme profonde des mœurs politiques ». Comme la France qui chantait « Maréchal nous voilà », le Front National a le culte d’une cheffe incontestée, plus exactement d’une petite entreprise familiale florissante qui prospère, et derrière laquelle on se rassemble en bleu Marine. Dans son discours du 6 Décembre, cette cheffe proposait de « remettre en valeur nos traditions », de « préserver nos modes de vie », de « reconquérir les territoires oubliés de nos campagnes », retrouvant ainsi les mêmes relents réactionnaires que ceux qui défendaient la « France éternelle » et « le retour à la terre qui ne ment pas ». En proposant un « rassemblement dans un grand projet collectif », un projet « d’unité nationale », l’ « accueil fraternel de tous », pour que « tous ensemble nous retrouvions le chemin de l’avenir » elle renoue avec la rhétorique classique de l’extrême droite dénonçant l’individualisme et glorifiant un ordre social fondé sur la solidarité, le « grand élan fraternel » cher à Laval. Et en matière d’avenir radieux, là encore le Front National propose la même mystification que ses prédécesseurs. Tandis que pour Pétain » C’est vers l’avenir que, désormais, nous devons tourner nos efforts. Un ordre nouveau commence. », la présidente du Front National nous invite, elle, à la suivre pour « retrouver le chemin de l’avenir, la voie de la grandeur et du bonheur ». Comme ce le fut pour la Révolution Nationale qui trouva des soutiens appartenant à des horizons sociaux divers et ses cadres dans une bourgeoisie bien décidée à ne pas se laisser déposséder de ses pouvoirs, le Front National est servi aujourd’hui par un mélange hétéroclite de racistes, d’antisémites, de nationalistes, d’authentiques fascistes, de catholiques conservateurs, de déclassés brisés par la crise. Mais il est aussi essentiellement dirigé par de jeunes cadres, plutôt diplômés, issus de la droite traditionnelle voulant bousculer le système pour sans doute, comme par le passé, trouver leur place dans l’ordre nouveau.
Il ne s’agit pas là que de simples similitudes rhétoriques. Le Front National et ses dirigeants tentent de les masquer sous les oripeaux d’un programme politiquement correct, revendiqué comme républicain et social alors qu’il n’est ni l’un ni l’autre. Ce programme utilise ainsi les mots et les idées républicaines pour rendre son discours irréprochable. Ces «copier/coller» s’inscrivent dans une stratégie délibérée destinée à égarer le citoyen, lui faire perdre ses repères. Dans le secteur qui est le mien par exemple, comment ne pas rire lorsqu’on y lit aujourd’hui que « l’université n’est pas une entreprise », slogan unificateur du plus important mouvement universitaire que la France ait connu depuis trente ans après que le programme « Pour la France » du Front National a proposé exactement le contraire. Ce parti d’extrême droite ne recule pas non plus devant le mensonge dès lors que cela sert sa vision xénophobe de la société. Dans son programme, il explique par exemple que « l’immigration est une source de coûts très importants ». En vérité, les immigrés reçoivent moins de l’Etat qu’ils ne lui en reversent! Dans ce programme, le diable se cache le détail, si j’ose dire. Ainsi par exemple, ce parti qui défend les valeurs de la famille attribuerait bien sûr des allocations familiales mais celles-ci ne seraient réservées qu’à des familles dont un parent au moins est français. Et dans ce parti d’ordre et de discipline, ces aides seraient supprimées aux parents qui « n’assument » plus leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants, ce qui sans doute ne les aiderait pas à régler leurs problèmes. Nous sommes là bien loin de l’idéal républicain.
Ce programme est en fait purement incantatoire et n’offre aucune des solutions réelles dont la France aurait besoin. Mais plus grave encore et ne nous y trompons pas, ce programme n’a en fait d’autre objet que de permettre aux dirigeants du Front National, en s’appuyant sur la République elle-même, d’accéder au pouvoir par tous les moyens pour mettre en œuvre un projet d’une toute autre nature : promouvoir un pouvoir étatique autoritaire bafouant les principes même des droits de l’homme et du citoyen et assurant la « restauration de l’Etat » comme avant eux Pétain promettait de « restaurer la France » dans une sorte de résurrection morale et économique. Et leur dirigeante de marteler : « Chacun doit avoir à l’esprit qu’il n’y aura aucun changement si on ne change pas les hommes, les façons de gouverner « .
C’est donc dans ce contexte que nous, progressistes, nous devons dénoncer énergiquement les accents pétainistes du Front national, démasquer ses manipulations et alerter sans relâche nos concitoyens des dangers que ce parti d’extrême droite ferait courir au pays. Nous devons tout autant convaincre nos concitoyens de se mobiliser et d’aller voter pour des projets portant authentiquement les valeurs républicaines et leur engagement sincère à les défendre. Réaffirmons aussi que les choix partisans ne sont pas obsolètes, que le clivage droite/gauche entre républicains sincères ne relève pas d’une idéologie archaïque coupable mais sont au contraire le signe d’une démocratie vivante et respectueuse.
Le temps presse, il ne nous reste que quelques jours. L’histoire doit éclairer nos choix, la haine est à nos trousses. N’ayons pas les mêmes aveuglements et ne commettons pas les mêmes erreurs que par le passé, les générations futures seraient en droit de nous rendre comptables.
Michel Saint Jean, Physicien, Directeur de Recherches au CNRS