Les propos de Brice Hortefeux illustrent-ils la méfiance des partis politiques à l’égard de la diversité ? « Un, ça va, c’est quand ils sont plusieurs qu’ils posent problème. » Cette phrase pourrait résumer à elle seule les doutes des grands partis politiques à l’égard des Français issus de l’immigration ou des DOM-TOM. Le seul « mérite » (sic) de la déclaration du ministre de l’intérieur est d’avoir levé un pan du voile de l’hypocrisie régnante, en disant tout haut ce que beaucoup, au sein de la classe politique, pensent tout bas. Le « racisme décontracté » et la « lepénisation tranquille » assument que les Français venus d’ailleurs ne sont pas des « Français comme les autres » et sont donc indésirables dans la sphère publique, et notamment au pouvoir. Le contraste est édifiant entre l’Amérique d’Obama et la France d’Hortefeux. L’une a élu un président métis et tente, malgré des discriminations et un communautarisme encore très présents dans la société, de surmonter son passé d’esclavage et d’inégalité raciale pour réconcilier la nation américaine et l’ouvrir au monde. L’autre proclame l’égalité au fronton des institutions de la République mais n’affiche qu’une députée (élue hors DOM-TOM) issue de la diversité à l’Assemblée nationale et se vit en forteresse assiégée par l’immigration, maintenant ceux qui en sont issus dans une citoyenneté de seconde zone, concept d’une époque dite révolue.
La diversité est partout, sauf en politique. Pourtant, notre système d’intégration est le meilleur au monde et, en dépit de problèmes plus sociaux qu’ethniques – le principal étant la ségrégation sociale et territoriale dans les banlieues – les enfants de l’immigration se sentent parfaitement français, surtout lorsqu’il s’agit de la troisième ou quatrième génération. Dans les arts, le sport, l’entreprise ou à l’université, dans la fonction publique ou les médias, la diversité a progressé dans tous les domaines ces dernières années, même s’il reste encore beaucoup à faire, mais les clés du pouvoir politique restent inexorablement entre les mêmes mains. En France, en 2009, il est plus facile de nommer les gens, parce que leur nomination dépend directement de la volonté des dirigeants de les imposer, que de les faire élire par le suffrage universel (combien de fois n’avons-nous entendu, pour justifier l’impossibilité de désigner un candidat à une élection, que choisir une personne issue de l’immigration est assurément choisir la défaite). La sphère politique sécrète une discrimination systémique : les propos de Brice Hortefeux choquent parce qu’ils sont publics, mais dans les couloirs des ministères et des partis politiques, ce sont les mêmes mœurs qui font obstacle de façon plus feutrée, plus discrète et plus efficace, à l’émergence de responsables issus de l’immigration et des outre-mer.
Il y a plusieurs explications à cet échec de la représentation démocratique. Des causes historiques : de nombreux responsables politiques actuels ont été marqués par la décolonisation, notamment par la guerre d’Algérie, et n’acceptent pas la légitimité des enfants et petitsenfants de ceux qui ont conquis l’indépendance des ex-colonies à exercer le pouvoir en France. Des causes ouvertement racistes : comment expliquer, autrement que par la couleur de leur peau, que les Français des DOM-TOM, qui ont donné à la France Alexandre Dumas et Gaston Monnerville (président du Sénat), soient exclus depuis si longtemps de la vie politique de la métropole ? Enfin, des causes sociales qui concernent tous les Français des classes populaires : la politique, marquée par la reproduction et la cooptation, est le monopole d’une caste et pour une Rachida Dati on compte, au gouvernement, plusieurs ministres dont les parents étaient liés au pouvoir, voire leur ayant directement légué leur circonscription législative.
Le temps n’est plus aux incantations sur le renouvellement, il faut agir.
Malheureusement, cette allergie à la diversité est également partagée entre le PS et l’UMP. Les efforts de François Hollande pour imposer, en tant que premier secrétaire, de nouvelles têtes aux régionales et européennes de 2004 et aux législatives de 2008 n’ont pas effacé la pusillanimité de certains socialistes qui n’ont pas su donner à la France un gouvernement à son image. C’est pourquoi le Parti socialiste ne doit pas rater l’occasion des prochaines élections régionales pour prendre le tournant de la modernité. Il ne suffira pas de réserver des circonscriptions législatives pour 2012, il faut préparer une nouvelle génération grâce aux régionales, scrutin de liste par définition moins ardu que les élections uninominales. Le PS compte dans ses rangs des jeunes responsables dynamiques, issus des classes populaires, souvent très diplômés et qui ont montré leurs mérites militants. Martine Aubry porte aujourd’hui la responsabilité de leur donner la parole, car le temps n’est plus aux incantations sur le renouvellement, il faut agir.
Par Faouzi Lamdaoui, membre du Conseil national du PS, ancien secrétaire national à l’égalité