La succession de Jean-Marie Le Pen -et sa fille Marine comme héritière dynastique du chef est la mieux placée pour le remplacer- est l’un des objectifs les plus médiatisés du Congrès du FN. Ce serait toutefois une erreur politique majeure que de ramener cet événement à cette seule question et d’évacuer tout ce qui touche à l’attirail idéologique aujourd’hui développé par ce parti alors même que ce congrès va marquer véritablement l’entrée du FN en campagne.
Lepénisation des institutions et xénophobie d’Etat
Ce congrès s’ouvre dans une situation politique particulière largement héritée de la dernière présidentielle qui a vu Nicolas Sarkozy, candidat puis président, labourer les terres du FN pour tenter de siphonner son électorat. Et les gages donnés ont été nombreux même s’il est erroné de réduire la politique néfaste de Nicolas Sarkozy à cette seule explication. Néanmoins sur de nombreuses questions, autant l’affichage que les décisions prises ont pu trouver leur inspiration dans les thèses ou le programme du FN : politique sécuritaire, stigmatisation des étrangers, politique du chiffre et à un degré moindre, certains aspects de la politique économique.
En réduisant le mal être des Français à une question d’identité, le gouvernement a tenté de s’exonérer de sa responsabilité, comme si ce malaise n’était pas avant tout et presque exclusivement lié aux choix économiques catastrophiques opérés à l’encontre de la plus grande majorité des Français. Il a ainsi participé à une lepénisation des esprits et même des institutions jusqu’à structurer une véritable xénophobie d’Etat. Comme l’écrit Jacques Rancière « Le racisme d’aujourd’hui est donc d’abord une logique étatique et non une passion populaire. Et cette logique d’Etat est soutenue au premier chef par on ne sait quel groupes sociaux arriérés mais par une bonne partie de l’élite intellectuelle. »
Cette proximité avec le FN n’a fait que développer l’audience de ce dernier et certains propos ministériels n’ont fait que participer à la banalisation de la parole raciste si bien qu’aujourd’hui, le FN a pu retrouver une certaine crédibilité jusqu’à apparaître pour certains en capacité de renouveler sa performance de 2002 et d’être présent au second tour de la présidentielle. Ainsi la situation ne doit-elle pas être prise à la légère.
Nouveaux masques du racisme
Il y a de façon urgente et impérative à donner une réponse idéologique et à ne pas différer plus longtemps une contre-offensive tant sur le terrain du racisme au quotidien, de la lutte contre les discriminations, que sur les terrains de l’islamophobie et de l’antisémitisme où ces phénomènes plus que s’opposer ne font que se nourrir l’un l’autre, d’autant que la situation au Proche-Orient reste propice à tous les dérapages et à tous les amalgames.
Il s’agit en l’état actuel de redonner sens et contenu au concept d’égalité et à la notion de laïcité d’autant que cette dernière notion est aujourd’hui dévoyée, récupérée par l’extrême droite qui porte une véritable offensive idéologique sur ce terrain en l’utilisant comme instrument d’exclusion à l’encontre de toute une catégorie de citoyens en fonction de leur appartenance réelle ou supposée à une religion.
N’a-t-on pas vu fin décembre se tenir à Paris des Assises contre l’islamisation de l’Europe organisées conjointement par le Bloc identitaire et Riposte Laïque ? Et cette notion de laïcité crispée, dévoyée, opposée à une laïcité ouverte, séduit bien au-delà des cercles d’extrême droite allant par porosités successives jusqu’à contaminer des associations féministes, ou de luttes contre l’homophobie ou même des antiracistes ouvrant la voie à une restructuration politique des plus inquiétantes.
Comment la jeunesse des quartiers populaires, précarisée et stigmatisée, qui vit les discriminations au quotidien, peut –elle accorder crédit aux valeurs républicaines ? A nous donc de donner corps au concept d’égalité et de faire en sorte que sur le terrain des discriminations chaque citoyen ou habitant de ce pays puisse avoir les mêmes droits, qu’il soit français ou étranger, issu de l’immigration ou non, sédentaire ou nomade … L’illusion serait de croire que la discrimination n’est qu’accidentelle, alors qu’elle est structurelle. Ce constat doit nous conduire à en tirer toutes les conséquences tant au niveau social qu’ idéologique.
A nous également de réinvestir la notion de laïcité et lui donner le sens dynamique de vecteur de cohésion sociale qui devrait être le sien sachant que ce n’est pas aux citoyens d’être laïques mais bien à l’Etat d’être le garant de la laïcité .En ce sens les différences de traitement ne peuvent que susciter un rejet préjudiciable à notre vivre ensemble.
Le FN ne change pas, il s’adapte.
S’il ne faut pas minimiser l’importance des luttes sociales – et c’est bien la crise qui reste le terreau principal du racisme, et il y a urgence à agir sur ce front – ne faut-il pas cependant se pencher avec plus de rigueur sur l’aspect idéologique développé par l’extrême droite. Ce terrain a été quelque peu déserté et nous a fait négliger la mutation qui s’opère au F N.
Hier l’ennemi était l’immigré, arabe particulièrement, bouc émissaire rendu responsable du chômage et de l’insécurité.
Aujourd’hui, l’ennemi c’est l’islam et les musulmans avec la mise en avant du thème identitaire face à un prétendu péril islamique.
En ce sens, Marine Le Pen reprend un thème récurrent à toute l’extrême droite européenne voire à la droite celui de l’identité nationale, religieuse ou autre. L’affaire des minarets en Suisse avait montré toute l’efficacité électorale pour l’extrême droite de ce thème de l’identité focalisé sur l’aspect religieux.
Force est de constater que la société française majoritaire se sent aujourd’hui assiégée, se comporte et réagit paradoxalement comme une minorité. Nous voilà face à un phénomène nouveau, l’apparition d’un communautarisme de masse dont il nous faut impérativement analyser les conséquences.
Aujourd’hui, alors que l’on assiste à des recompositions idéologiques inédites, réaffirmer les grands principes républicains et les valeurs universelles sans les questionner ne suffit plus, il est vital de leur donner corps. Cette exigence doit être au cœur des préoccupations d’une véritable gauche qui ne peut se satisfaire au mieux d’assister impuissante aux dégâts causés par une globalisation libérale qui se veut, au mépris des peuples, gouverner le monde de façon dictatoriale et criminelle en opposant entre eux les citoyens et en tentant de détruire les indispensables solidarités.
Mouloud Aounit,
Président d’honneur du MRAP