Nos cheveux blanchissent mais pour les quartiers populaires le temps semble figé. Nous pourrions reprendre certaines de nos injonctions ou appels fait il y a 15 ans sans qu’ils aient pris une ride. Nous ne pourrions plus déplorer comme en 2007 quand nous créions l’Égalité d’abord avec le regretté Mouloud Aounit, que sur 36000 communes il n’y ait aucun élu issu de la diversité, ou que l’on ait que des têtes chenues et pas de têtes crépues dans les conseils d’administration. Mais où en sommes-nous des contrôles au faciès malgré les promesses des gouvernements de droite et de gauche ou du président en chaire, de la lutte contre les discriminations à l’embauche, au logement ? Malgré des études qui auront bientôt atteint l’âge de leur majorité pénale, on n’a toujours pas de mesures efficaces, capables d’anéantir ce frein à l’intégration que sont les discriminations.
Où sont les instruments de mesure ? En France on peut mesurer le nombre de coïts mais pas faire de statistiques ethniques. On doit s’entourer de mille précautions pour réaliser une étude sur les discriminations. Ce pays a toujours voulu afficher une volonté de promotion de l’Égalité mais sans y mettre l’énergie qui devrait être égale à celle contre les autres fraudes au contrat républicain.
La réponse politique reste au niveau de la caresse sur la joue de la gauche au pouvoir, à la menace du coup de règle sur les doigts de la Droite. Quant à l’extrême droite, elle n’a qu’à se taire tant on fait campagne pour elle et son avènement.
Quant à la majorité actuelle, on se souvient que la déclaration de candidature avait été faite à Bobigny, tout un symbole, niveau auquel on est resté.
La situation des quartiers populaires aujourd’hui est pire que celle des années 80. Certes Borloo a initié un formidable plan de rénovation urbaine qui a transformé l’aspect des quartiers un peu partout et qu’il faut consolider pour mettre à plat ces dalles, ces cités enclavées propices au repli et à la prise de contrôle par les mafias devenus ceux qui ont su tirer le meilleur parti de la banlieue.
Les quartiers ont toujours recueilli les plus pauvres et les plus fragiles, aujourd’hui s’y ajoute une banthoustisation qui retarde l’adaptation des nouveaux arrivants à la société française : dans nombres d’immeubles la lecture des noms sur les boites aux lettres est édifiante. Qui servira de modèle sur les us et coutumes, de référence dans ces conditions ? Nous avons grandi dans des écoles de quartiers populaires ou maghrébins, antillais, portugais, juifs, franco français… jouaient ensembles. Aujourd’hui les beurgeois mettent leurs enfants dans les écoles catholiques…
On s’étonne de la participation en masse des jeunes Peter Pan de la République aux émeutes, mais c’est méconnaitre l’ennui qui règne dans les cités dès les vacances venues. Qu’attend-on pour ressusciter les colonies de vacances ? Les associations qui animaient des ateliers, des tournois, des maisons de la jeunesse, des sorties en forêt ? Qu’attend-on pour soutenir les mouvements scouts laïques et religieux ou celui qui encadre et celui qui est encadré apprennent quelque chose.
Partout on braille à l’insécurité dans des villes où la densité de policiers est impressionnante si on la compare à celle du 93 ou des autres quartiers populaires. On y installe de jeunes policiers comme on y affecte de jeunes enseignants, comme un externe en médecine apprend à suturer sur SDF ivre ! Et pourtant s’il y a bien des quartiers où s’impose une loi autre que celle de la République c’est bien ceux-là ou un chouffeur de 16 ans demande à un médecin sa carte pour le laisser faire une visite. Le tapage nocturne et l’occupation des halls n’ont jamais cessés. Dans ces quartiers les habitants ont renoncé à faire le 17, ils ne connaissent plus que le 15 et le 18 qui eux honorent encore le rôle de l’État protecteur de ses citoyens quel que soit leur biotope. Même le ramassage des ordures n’est pas à la hauteur faisant le bonheur des rats.
On demande aux habitants de vénérer la République comme on demande aux chiites de vénérer l’imam caché !
On a travaillé sur le bâti, sur l’éclairage, sur la répression des émeutes urbaines mais qui a pensé à l’humain ? Plutôt que de financer des caméras de vidéo-surveillance inutiles où sont les anthropologues urbains, les sociologues devenus indispensable pour analyser expliquer à comprendre ces quartiers et bâtir des politiques développements à leur « pieds » ? Où sont les travailleurs sociaux dans ces quartiers où tant de mères courages font ce qu’elles peuvent vivant au bout de lignes de transport qui les font partir toujours plus tôt et rentrer plus tard ? Où sont les guichets d’accès au service public facilité pour aider aux formalités à l’accès aux droits avec des fonctionnaires volontaires et chevronnés quand au mieux on ne trouve qu’une poste glauque avec une façade en carrelage gris : où est le visage bienveillant de la République qui la rendra aimable ?
Il ne sert à rien de crier comme un cabri qu’on égorge à l’assimilation fantasmée et finalement pas désirée si on ne fait rien pour que ces nouvelles générations tombent amoureux de cette France qui a pourtant tant de charmes : le football ne peut être le seul fédérateur ! Pour cela il faut des enseignants comme ceux que nous eûmes et à qui on donnera envie d’y croire ce qui passe par le volontariat la rémunération et la protection quand c’est nécessaire. Cela passe par des policiers mieux formés et re formés et bien encadrés par des officiers capés qui imposeront l’ordre républicain avec fermeté et respect : les habitants n’attendent pas mieux.
Et enfin, pour redonner envie d’y croire il faut donner des modèles. Ce pays a laissé passer une chance avec notre génération éprise de l’idéal républicain, qui si elle avait été valorisée dans ses réussites auraient servi de formidable effet miroir, on s’y est toujours refusé par mépris ou par peur de perdre ses prébendes. Le résultat est là aujourd’hui et ce n’est pas le travail d’associations d’empowerment qui le comblera, la priorité est sur la génération qui vient pour casser la machine actuelle qui produit une jeunesse désorientée et où grandit malheureusement la haine.
Il n’est jamais trop tard pour agir mais attention à force de refuser de mettre les mains dans la boue on finit par les mettre dans le sang.
Madjid Si Hocine
Texte paru dans le journal L’Humanité du 13 juillet 2023