Après le débat néfaste sur l’identité nationale, le discours du président de la République du 30 juillet 2010 à Grenoble a marqué une nouvelle étape dans la stigmatisation des étrangers et des « Français issus de l’immigration ». Ce discours, réel point de départ d’une escalade dangereuse, fut suivi de nombreuses prises de position. Marine Le Pen, alors vice-présidente du Front national qualifie, le 10 décembre 2010, des musulmans priant dans la rue, faute d’espace décent, d’occupants. En février 2011, le président de la République déclare, selon Le Figaro du 17 février 20011, aux députés UMP reçus à l’Elysée, mercredi 16 février : « On a payé très cher la cécité sur l’immigration dans les années 1980. C’était un débat tabou. Avec, il se passe la même chose ». Il demanda un débat sur la laïcité et l’islam, organisé par l’UMP en avril 2011. En mai 2011, Claude Goasguen, député de la majorité gouvernementale, va jusqu’à demander la « limitation de la bi-nationalité », sachant que cette mesure est dans les faits irréalisable. Mais plus inquiétant encore lorsque le Premier ministre déclare le 15 juillet 2011 que madame Eva Joly, qui s’est prononcée pour un défilé citoyen à la place du défilé militaire du 14 juillet, n’a pas la culture politique française. Pour monsieur Fillon, madame Joly, en tant que Française d’origine étrangère, n’est pas légitime pour se prononcer sur un tel sujet ! Depuis il ne se passe pas un mois sans qu’il y ait une attaque stigmatisante contre des populations ou des personnes considérés comme non-Français. Les dernières en date furent illustrées par l’évacuation forcée de Roms dans une rame de tramway en Seine Saint-Denis, le 31 août, rappelant ainsi de tristes épisodes de l’histoire de la France, et par la qualification le 2 septembre 2011, par Alain Marleix, député UMP, de Jean-Vincent Placé, conseiller régional des Verts en Ile-de-France, de « notre Coréen national », lui signifiant par-là qu’il n’est pas tout à fait Français.
Avec ces déclarations et actes répétés on fait le lit de la xénophobie et de la haine d’une catégorie de population, notamment les musulmans. Après l’échec des thématiques de l’insécurité, de l’identité nationale, toutes deux liées à l’immigration, l’islam demeure le sujet de prédilection d’une partie du personnel politique. L’ennemi commode est donc tout désigné : le musulman. L’islamophobie – on devrait dire la musulmanophobie – est ainsi devenue la nouvelle figure du racisme. Mais avec les réactions aux propos de madame Joly, le discours officiel va plus loin dans la différenciation des Français, établissant ainsi une hiérarchie entre eux : ceux dont l’« identité française » ne souffre d’aucun doute, les « Français de souche » et les autres, constitués de « Français d’origine étrangère », les « sous-Français ». Parmi ces derniers, la différenciation s’accentue encore en sommant ceux d’origine non-européenne, notamment les musulmans, de taire leur conviction religieuse et leur culture, et prouver ainsi en permanence leur allégeance à la France.
Déclarer de manière officielle que certains Français sont moins français que la majorité des Français ouvre la voie aux dérives les plus dangereuses. Pour les populations visées, notamment les couches populaires des banlieues et territoires périurbains, elles sont confortées dans leur sentiment de rejet de la communauté nationale. Pour beaucoup cette différenciation symbolique et politique s’ajoute à la ségrégation sociale, économique et territoriale. En effet, depuis des décennies, les populations des quartiers urbains périphériques vont de déceptions en désillusions. Pourtant, beaucoup a été essayé pour enrayer la dégradation matérielle de leur condition et leur stigmatisons. Les campagnes d’inscription sur les listes électorales, l’engagement dans des partis politiques ou la création d’organisations spécifiques n’y ont rien fait. L’absence d’amélioration de leur condition les incite, comme une grande partie du reste des citoyens, à se défier de la politique. La campagne électorale des présidentielles de 2007 et la crise économique depuis 2008 ont accentué ce processus. Les dernières élections régionales l’ont hélas confirmé.
La fracture entre ces populations et le reste de la société semble donc profonde. Elle sera durable si, alors qu’une majorité d’entre eux sont victimes du système économico-politique, on s’acharne à les ériger en responsables des grands maux de la France.
Les dernières déclarations, prises de positions et manœuvres politiques ne font qu’attiser ce divorce et continuer à dresser les Français les uns contre les autres. Cette situation n’augure rien de bon si les hommes et femmes politiques ne reviennent pas à la raison.
La prise de conscience de cette réalité mortifère ne peut pas ne pas être suivie d’une réaction vertueuse permettant la cohésion de toutes les composantes de la population française. Voilà un objectif qui devrait réunir la majorité des citoyens et les élites politiques, syndicales et de la société civile. Mais sa réussite ne peut avoir lieu qu’à condition d’agir avec et réellement pour ceux qui sont visés par ces attaques répétées.
En conséquence, tous les candidats déclarés ou à venir, des républicains aux représentants des gauches radicales doivent faire de la question des quartiers populaires une priorité. Or pour le moment ces problèmes ne font pas partie de leurs programmes politiques. En ces matières, on ne peut se contenter d’incantations et de vagues promesses. Des propositions concrètes et un véritable plan d’urgence dûment financé doivent être élaborés pour les cinq ans à venir afin de combattre le chômage, les discriminations multiples et la relégation urbaine qui ravagent ces quartiers depuis des décennies. A la veille d’élections présidentielles majeures, ils doivent s’engager et dire publiquement ce qu’ils comptent faire.
11 septembre 2011.
Yazid AOUN, formateur ; Mouloud AOUNIT, militant antiraciste ; Bénédicte BAURET, militante des droits de l’homme ; Adda BEKKOUCHE, militant associatif ; Boualem BENKHELOUF, militant syndical ; Olivier LE COUR GRANDMAISON, universitaire, Mehdi LALLAOUI, militant associatif ; Kamel MEZITI, enseignant-chercheur ; Madjid SI HOCINE, militant associatif ;