L’autoroute qui mène au club des Pins à Alger a toujours été une sorte de salon de l’auto à ciel ouvert, je m’amusais, lors de mon dernier voyage à dénombrer, les Peugeot qui y circulaient. Force est de constater que si là-bas tout le monde garde un souvenir de la 504, on choisit aujourd’hui des coréennes voire des QQ chinoises et que les Renault s’appellent souvent Dacia. Les logements et les hôpitaux ne sont pas construits par Bouygues et il est difficile de trouver, aujourd’hui, chez les moins de 25 ans des gens capables de soutenir une conversation dans ce français parfait qui était employé jusque dans les douars. On pourra invoquer l’arabisation, le coût de nos produits, la perte d’influence de l’ancien colonisateur… On peut aussi se demander pourquoi il a fallu si longtemps pour qu’enfin une usine Renault ouvre ses portes, en attendant un jour, qui sait, une de chez Peugeot. On se souviendra aussi que quand dans la décennie noire, les français refusaient de s’engager et prenaient la poudre d’escampette, Daewoo pointait du nez et les chinois mettaient le pied sur cet énorme marché africain, de surcroît solvable.
La courageuse Tunisie peine à se relever des années Ben Ali et son tourisme est sinistré depuis les coups de boutoirs des islamistes sur ce pays qui est le seul du monde arabe à s’être doté d’une constitution progressiste en bien des points notamment sur la place de la femme. Pourtant quasiment aucun soutien. La jeunesse diplômée ou non qui ne trouve pas d’autres débouchés que l’exil, parfois dans les conditions tragiques que l’on connaît et qui a transformé le détroit de Tarik Ibn Zyad (Jebel Tarik qui a donné Gibraltar) en fosse commune, profiterait pourtant d’investissement notamment dans l’agriculture et le tourisme, domaines dans lesquels notre pays a un vrai talent. Où serait-ce que l’on veuille attendre comme à Madagascar ou ailleurs que les chinois s’en occupe ?
En RDC, plus grand pays francophone au monde, depuis des années les pires crimes contre l’humanité se commettent dans une indifférence quasi absolue à peine rompue par les hommages rendus à ce gynécologue courageux qui répare les vagins détruits par les barbares du Kivu. Pillage des ressources par les voisins, dont le Rwanda qui a réussi la performance inédite d’ » éradiquer » le français pour l’anglais à la demande de son président ; maintien au pouvoir de Joseph Kabila au-delà du terme de son mandat et qui chaque dimanche fait tirer sur la foule qui manifeste.
Les Chinois ont eux su y inventer un modèle, souvent non exempt de critiques et loin d’être altruiste, mais pragmatique et efficace. Ils s’approprient les ressources naturelles, mines, concessions forestières en échange de la construction d’infrastructures, notamment des routes ce qui a permis au pays de renouveler son réseau routier avec néanmoins des réserves sur la durabilité des routes construites.
Il est étonnant que nos ministères de la Coopération passés n’y aient pas songé ! Sans doute pas de cette manière, mais affecter directement les fonds de la coopération sur des projets ciblés, réalisés ou pas par des entreprises françaises n’est-ce pas un moyen pour éviter » l’évaporation » des fonds ou les gâchis souvent constatés ? Ce genre de processus existe, il devrait être multipliés que ce soit dans l’aide au développement ou dans la coopération (un taux de 100% n’est pas envisageable pour des questions de souveraineté des états receveurs). L’intervention d’entreprises françaises serait un gage de qualité d’échanges à bénéfices réciproques.
Il existe en France à la fois une diaspora et une communauté française issue de ces pays potentiellement bénéficiaires de ces fonds. Il est incroyable qu’on ne les utilise pas dans les projets de co-développements, dans les échanges scientifiques et culturels et que l’on n’appuie pas plus les associations qu’ils ont constitué . Sait-on qu’elle est l’ampleur de la contribution des travailleurs maliens ou celle des tadjemaats kabyles au développement de leur communauté d’origine avec des sommes collectées pour des projets directement utiles aux populations concernées ? C’est sans doute là un gisement de compétences et de bonnes volontés inégalable.
Si l’on prend l’exemple de la communauté médicale originaire du Maghreb, notamment d’Algérie. Qu’attend-on pour monter des hôpitaux français, d’Alger de Tunis de Casablanca qui serait des espaces d’échanges universitaires, d’enseignements et de prise en charge de pathologies sévères qui condamnent souvent les malades faute de transfert possible vers des pays qui pourraient donner les soins adaptés ? Ce serait aussi l’occasion de créer un véritable service de la coopération dans la santé avec pourquoi pas un clinicat africain ou asiatique pour les jeunes spécialistes à l’issue de l’internat ou de l’assistanat. On aurait là, entre autres, une forme de compensation intelligente au pillage des cerveaux entretenu par l’absence de cadre épanouissant pour les praticiens qui quittent leur pays d’origine. Ces établissements pourraient devenir des opportunités professionnelles pour les étudiants venus se former en France et qui ne retournent pas chez eux pour les raisons que j’évoquais. On pourrait même leur garantir des facilités de déplacement, des bourses de recherche et des financements sur place, un accès à la formation continue…
Alors que l’on se plaint du recul de la langue française dans de nombreux pays et que l’on se vante de vouloir attirer les étudiants futurs décideurs de demain en leur faisant des difficultés monstres pour obtenir des visas d’étude, on peut rester surpris de l’absence d’Erasmus euro africain, ni même d’un simple office de la jeunesse sur le modèle de l’Office de la jeunesse franco-allemande qui soutient chaque année près de 10000 programmes. Il n’existe même pas d’office franco-algérien de la jeunesse, alors que les liens sont historiquement plus fort qu’avec l’Allemagne et que la volonté d’apaiser les contentieux aurait dû être la même en faisant le pari de la jeunesse.
Reprenons la route, nous serons heureux de constater que nombre de petites villes françaises sont souvent jumelées avec une ou plusieurs villes européennes ce qui est source d’échange variés. Combien le sont avec des villes algériennes, marocaines, maliennes sur les 6800 conventions signées depuis 1950 ? Même pas 100 ! Étonnant non ? Cela constituerait pourtant, notamment dans les quartiers populaires, autant de chances de mobiliser la jeunesse sur des projets avec les pays d’origine, les aidant à s’approprier mieux leur histoire et à les aider à sortir de cet impression récurrente » d’on ne veut pas de nous « . Un jumelage ne coûte pas cher et a un rendement élevé aussi bien en termes d’image que de potentialités d’actions associatives.
Les échanges et les mouvements entre les deux rives sont indispensables et inévitables. Certains seront imposés, les bidonvilles aux périphéries de nos villes nous le prouvent. Travaillons sur ceux que nous pouvons organiser en espérant réduire ceux qui sont la conséquence de l’inconséquence des politiques passées. Dans le domaine d’une coopération juste et équilibrée, tout reste à inventer à la lumière du pragmatisme et en privilégiant ce qui fonctionne et dont l’efficacité est évaluable. La Fondation Borloo qui ambitionne d’électrifier l’Afrique nous montre le chemin. Les projets de sauver les manuscrits du désert de Tombouctou sous la direction d’une française en coopération avec la BNF nous en indique un autre. Voilà un terrain où la startup nation que nous ambitionnons de devenir pourrait s’exprimer.
Madjid Si Hocine
Texte paru dans le journal l’Humanité