Nous voilà saufs, la Sécu est sauvée ! Grâce à notre ministre de l’Intérieur, qui se propose de croiser les fichiers des étrangers et le fichier des assurés sociaux, la fraude sera terrassée. Il y a peu, nous pensions que c’était les médecins – ces inconscients qui signent à tour de bras des arrêts maladies – que l’on devait rendre responsables des déficits, et voilà que l’on revient à un bouc émissaire plus habituel dans ce quinquennat. Les étrangers, dont on découvre avec plaisir qu’ils sont sérieusement fichés, seraient coupables là encore de ce crime, ce vol, comme l’a qualifié le président de la République dans son discours de Bordeaux du 15 novembre. Personne n’y avait donc pensé ? Même pas Marine Le Pen, qui pourtant a eu longtemps, avec son père, le monopole des recherches d’économies dans les budgets sociaux via l’analyse serrée du dossier des immigrés.
Ainsi, en comptant sur les passeports le nombre de jours passés sur le territoire pour les fraudeurs aux APL (aides personnalisées au logement), en enquêtant dans les chambres à coucher pour traquer les mariages frauduleux et les enfants qui bénéficieraient d’allocations familiales indues, on sauverait notre modèle social ? C’est bien surprenant ! Sans doute veut-on encore s’acharner sur ces vieux immigrés, les chibanis, pour rogner leur maigre retraite parce qu’ils ont le front de vouloir passer trop de temps auprès de leur famille restée au pays d’origine, plutôt que dans leur chambrette de 9 m² dans un foyer Sonacotra. Il le faut bien si l’on veut préserver ce magnifique héritage du Conseil national de la résistance. C’est en tout cas bien plus facile que de s’attaquer aux vraies causes.
Parmi les remèdes possibles, citons la rationalisation des prescriptions de médicaments et d’examens complémentaires via l’élaboration d’un réel dossier médical informatisé qui permettrait à chaque praticien de santé d’avoir accès aux informations utiles, évitant ainsi les doublons de prise de sang ou de demande de scanner, en particulier lorsque le patient entre à l’hôpital.
Mais aussi la mise en place d’un programme d’aide à la prescription afin de réduire les ordonnances qui comportent des médicaments inappropriés, sources, au mieux, d’un surcoût inutile, au pire, d’effets iatrogènes (indésirables) responsables d’environ 150 000 hospitalisations coûteuses par an, surtout chez les plus de 65 ans qui sont déjà les plus fragiles et les plus polymédiqués.
Ou encore la création d’une politique sérieuse de prévention qui consisterait à pérenniser l’accès aux soins et à introduire de nouvelles consultations de dépistage aux âges clefs de la vie ; des consultations qui seraient obligatoires et prises en charge par la Sécurité sociale. Une politique qui permettrait de valoriser les temps consacrés à l’éducation sanitaire et à la prévention pour les médecins généralistes.
Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, qu’en améliorant la fluidité des filières hospitalières, ce qui permettrait de raccourcir les durées moyennes d’hospitalisation, surtout dans les structures de courts séjours les plus coûteuses, nous réduirions nos dépenses de santé ? Savez-vous qu’il n’est pas rare qu’un sujet âgé en perte d’autonomie reste plusieurs jours ou semaines dans un service de médecine à 700 euros la journée, faute de pouvoir trouver une place dans un service de moyen séjour deux fois moins coûteux ou dans une maison de retraite ?
Autres outils indispensables à mettre en place : une véritable politique de formation continue pour les médecins et l’amélioration de la formation initiale des étudiants en médecine.
Il faut accepter que le progrès médical ait un coût et chercher à l’assumer autrement qu’en jetant le soupçon et l’opprobre sur les médecins, les usagers et les étrangers !
De grâce, monsieur le ministre de l’Intérieur, laissez les professionnels, les chercheurs et les économistes de la santé trouver des solutions pour préserver notre système de soins et ne demandez pas aux policiers de le faire !
Madjid Si Hocine (article paru dans le Journal Libération, rubrique Rebonds)