Cet article détaille les obstacles qui se dressent sur la voie de l’Union pour la Méditerranée, un projet, un défi qui exige réalisme et lucidité.
L’Union pour la Méditerranée, dont l’appellation officielle est « Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée », est une organisation internationale intergouvernementale à vocation régionale. Elle est fondée à l’initiative du président de la République française, Nicolas Sarkozy, le 13 juillet 2008 dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.
Cette organisation se coule dans la structure du processus de Barcelone, un pacte liant l’Europe aux pays riverains de la Méditerranée mis sur pied en 1995 à l’initiative de Jacques Chirac.
La nouvelle institution doit prendre son essor sur six projets mobilisateurs : la dépollution de la Méditerranée, les autoroutes maritimes et terrestres, la protection civile pour répondre aux catastrophes naturelles, une université euro-méditerranéenne, l’énergie solaire et une « initiative méditerranéenne de développement des affaires ». Son organisation est fondée sur une coprésidence entre un dirigeant de la rive nord, désigné selon les mécanismes de représentation en vigueur au sein de l’UE, et un dirigeant de la rive sud, désigné par consensus dans les États concernés. Le président égyptien et le président français sont les deux premiers coprésidents mais cette décision fait débat. L’omission de toute référence à la démocratie et aux droits de l’homme dans la déclaration marque une régression par rapport aux objectifs du Processus de Barcelone.
Un consensus ministériel s’est dégagé, le mardi 4 novembre dernier, pour que l’Union pour la Méditerranée siège à Barcelone et que la Ligue arabe en soit membre à part entière en contrepartie d’un secrétariat général adjoint pour Israël.
Genèse de l’Union méditerranéenne :
À l’issue du second tour de l’élection présidentielle française, Nicolas Sarkozy lance le 6 mai 2007 un appel pour « bâtir une Union méditerranéenne ».
Le 22 octobre 2005, prenant acte de l’enlisement du processus de Barcelone (censé aider au développement des pays du pourtour méditerranéen) à quelques semaines du sommet marquant ses dix ans d’existence, Panagiotis Roumenotis, ancien ministre des Finances de la Grèce, président de l’association Calame (Centre d’analyse et de liaison des acteurs de la Méditerranée) et Jean-Louis Guigou, ancien directeur de la Datar et président de l’Institut de prospective du Calame , lancent un appel pour une Communauté du monde méditerranéen.
Nicolas Sarkozy, alors candidat, lance pendant la campagne présidentielle française de 2007 l’idée d’une Union méditerranéenne (UM).
Dans son discours de Tanger , le 23 octobre 2007, il invite tous les dirigeants des pays riverains de la Méditerranée à participer « sur un pied d’égalité » à une conférence au sommet à Paris en juin 2008, (c’est-à-dire à l’aube de la présidence française de l’Union européenne) qui devait marquer la naissance politique de cette union. Le projet français préconise la coopération entre les pays des deux rives sur des domaines consensuels comme l’eau, l’environnement, l’énergie, les transports. Israël est invité à y prendre part aux côtés des pays arabes.
En septembre 2007, le Président français nomme Alain Le Roy, Ambassadeur chargé de la mise en œuvre du projet d’Union Méditerranéenne.
Pratiquement, la France, à travers la création de cette nouvelle union, vise deux buts inavoués : arrêter les flux migratoires des pays du Sud vers l’UE et écarter la Turquie des négociations d’adhésion à l’Union européenne, tout en lui offrant une contrepartie.
La gouvernance des pays du Sud dresse de multiples obstacles au succès de ce projet. Du Maroc à la Turquie, ce ne sont pas moins de cinq conflits armés ou querelles frontalières qui empêchent toute coopération. Toutefois, la principale préoccupation des dirigeants des pays du sud qui sont favorable à ce projet (Egypte, Maroc, Tunisie,…) « n’est pas d’intégrer un club de démocraties méditerranéennes, mais de sanctuariser leurs régimes et de maintenir leurs clans au pouvoir. Tout projet de modernisation menace leur souveraineté, leur pérennité politique. Donner la liberté à leur peuple, instaurer un État de droit ou offrir à leur jeunesse une véritable perspective, cela n’est pas à l’ordre du jour. » Au fond, « la plupart des régimes concernés voudraient « cueillir » la contribution financière européenne sans avoir à bouleverser le quotidien de leur population, ni réformer leur gouvernance. »
Le journal Le Monde parle d’une « bienveillance américaine à l’égard du projet d’Union méditerranéenne ». Cette « bienveillance » ne suffit néanmoins pas à faire taire les critiques européennes : aucune concertation n’a eu lieu avec les partenaires européens non-méditerranéens de la France.
Les tensions franco-allemandes et les dissensions françaises :
Il est vrai que la Commission européenne et le Parlement européen sont très irrités par ce projet français qui consacre l’échec du processus de Barcelone et qui marginalise les institutions européennes incapables de donner une impulsion crédible.
L’Allemagne fait savoir ses fortes réticences. De plus ce projet, mené sans aucune concertation avec les pays de l’UE, brouille la politique européenne de Nicolas Sarkozy. Certains États européens « bénéficiaires nets », recevant plus de fonds européens qu’ils ne cotisent au budget de l’UE, craignent une baisse des subventions au bénéfice du Sud. Certains haut-fonctionnaires de la Commission européenne déclarent que les Français veulent « siphonner » les fonds européens au bénéfice de leur zone d’influence au Sud.
Enfin et sous la pression allemande, la révision du projet français a minima était devenu inévitable. Angela Merkel, chancelière fédérale allemande, voit dans la première version de l’UM une dynamique politique méridionale concurrente de l’UE
Les 13 et 14 mars 2008 Nicolas Sarkozy a défendu son projet au Conseil des chefs d’État et de gouvernement de l’UE. Il a tenté tout d’abord de faire accepter son projet en le présentant à ses partenaires européens comme le double méridional du Conseil des États de la mer Baltique, dont seuls les pays riverains peuvent être membres à part entière, les autres États européens ayant le statut d’observateur. Angela Merkel, la chancelière allemande, refuse toujours, exige que l’ensemble des États membres de l’UE soient membres à part entière de l’UM et que la Commission européenne soit au cœur du dispositif.
Récemment, le 04 novembre dernier, un accord global a été trouvé à Marseille, au cours d’une réunion ministérielle, pour que l’Union pour la Méditerranée siège à Barcelone et que la Ligue arabe en soit un participant à part entière en contrepartie d’un secrétariat général adjoint pour Israël.
La déclaration finale précise que « pour le premier mandat », les cinq secrétaires généraux adjoints seront l’Autorité palestinienne, la Grèce, Israël, l’Italie et Malte.
Il peut sembler que ce que nous avançons pourrait paraître utopique voire idéaliste mais au-delà de ces clivages d’intérêts politiques, il est important que les Etats protagonistes commencent à s’intéresser aux intérêts de leurs peuples. L’Union pour la méditerranée reste quand même une alternative pour un monde meilleur qui peut amener à une vie plus humaine pour les peuples du sud et du nord.
Par Fayçal Megherbi, Doctorant en droit et juriste d’une ONG à Paris
1.Elle rassemble des États riverains de la mer Méditerranée et l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Elle compte 43 membres : les 27 de l’UE, l’Albanie, l’Algérie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Mauritanie, Monaco, le Monténégro, l’Autorité palestinienne, la Syrie, la Tunisie et la Turquie.
2. En France, Datar est un acronyme désignant la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, aujourd’hui remplacée par la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT).
Répertoire de bases de données en Sciences Humaines et Sociales.
www.elysee.fr
L’Union pour la Méditerranée entre rêve et utopie, Le Figaro, Paris, 17 avril 2008.
La fin du gaullisme ?, Le Monde, Paris, 5 mai 2008