Siffler l’hymne national est un affront inutile et stupide qui dessert le message même qu’il serait censé exprimer. Ceci posé, il est aussi établi que le laisser-aller qui règne autour des matchs de football est souvent plus grave et il dure depuis fort longtemps.
Bernard Lama et Joseph Antoine Bell se souviennent sans doute encore des bananes qu’on leur lançait ; les supporters italiens ont pu, il y a peu, au cours d’un match européen, exécuter le salut fasciste en rendant hommage au Duce en toute impunité. Il n’est pas nécessaire de rappeler ce que raconterait le Parc des Princes s’il pouvait parler, après tout ce qu’il a vu ou entendu au cours des 25 dernières années.
Pourtant, a-t-on jamais vu un match interrompu, un stade évacué ? Et surtout, a-t-on jamais entendu un tel déluge de déclarations, tour à tour vengeresses, vindicatives et fleurant bon ce soupçon de xénophobie que l’on perçoit dans l’arrière palais quand on doit avaler la couleuvre?
Seuls quelques sujets peuvent permettre une telle issue de l’inconscient, du « Ça ».
Heureusement, on est en France. Et il se trouvera toujours des voix pour condamner sincèrement les outrances verbales. Ce sont elles qui, au final, montrent à ceux qui sifflent la Marseillaise qu’ils ont tort de ne plus croire en ce pays qui est le leur, même s’ils ont l’impression que ce n’est pas toujours le cas.
Car, les plus sages, ceux qui savent raison garder, l’ont bien dit : ces sifflets sont un symptôme que quiconque, cherchant à ne pas céder à la réaction primaire de la simple condamnation, comprend. Ces sifflets ne sont que la traduction du mal-être d’une jeunesse qui n’en peut plus de ne plus savoir comment faire pour qu’on l’accepte et qu’on la regarde enfin comme issue du terroir national.
Que savent ceux qui demandent la « reconnaissance du ventre » ou la « valise » de la discrimination ? Se sont-ils déjà vu refuser un emploi, un logement, l’entrée dans une simple discothèque en raison de leur aspect physique, de leur patronyme ? Ont-ils déjà essuyé des regards méfiants ou, pire, des paroles blessantes en raison de leurs origines ? Ont-ils déjà été découragés dans leur volonté de réussir, par la vue de leur aîné qui malgré des qualifications adéquates, une motivation sans frein, et le mérite incontestable d’avoir fait un parcours scolaire que son milieu d’origine ne laissait pas imaginer, n’a pourtant pas pu crever le fameux plafond de verre ? Sans doute jamais.
C’est ce qui explique probablement le manque de clefs pour comprendre, et peut-être même la volonté d’essayer – nécessaire pour dépasser le lieu commun de la condamnation et de l’admonestation – qui offrent le plaisir de monter à la tribune pour y briller en tenant des propos convenus et convenables.
Le vrai courage politique est ailleurs et il est malheureusement rare. Qui sera capable en cette période de contraction économique, où les priorités sont ailleurs, de proposer des actions forcément coûteuses mais indispensables pour rebattre les cartes ?
On vient de monter un plan de 300 milliards d’euros, potentiellement utilisables pour sauver les banques françaises. Dix pour cent d’une telle somme suffirait sans doute à lancer ce fameux « plan Marshall » que tout le monde promet et que nul ne réalise. Combien de classes à effectifs de 15 élèves permettrait-il de financer ? Combien de logements et de quartiers pourrait-on réhabiliter ? Combien de services publics pourrait-on réintroduire dans ces quartiers désertés par l’Etat ? Combien de boursiers pourrait-on soutenir avec 30 milliards d’euros, du primaire jusqu’à la fin d’études doctorales ?
Et, surtout, de combien de frustrations, de violences urbaines, de haines ferait-on l’économie ?
Les laissés pour compte d’aujourd’hui, ceux qu’on ne sait même plus comment appeler, « issus de la diversité de la population française » ou « issus de l’immigration », toujours « issus de » mais rarement sortis de la stigmatisation, ne valent-ils pas au moins autant que ces banquiers aujourd’hui impécunieux, mais demain de nouveau flamboyants et arrogants ?
Seul un diagnostique lucide, courageux et franc permettra de sortir de la politique de cautères et de clystères. A ce seul prix pourra-t-on alors sortir des caricatures et des oppositions incessamment rejouées au plus grand tort des victimes, autant que de cet infanticide commis contre notre pays qui ne reconnaît plus tous ses enfants.
Combien faudra-t-il encore de Marseillaises sifflées, ou pire, de faits divers ou d’émeutes urbaines allègrement diffusées par CNN, pour que l’on veuille bien cesser de tout faire pour ne pas comprendre ?
Sous les huées du stade de France, c’est l’indifférence que l’on siffle !
Madjid Si Hocine