17 octobre 61, un crime d’état non reconnu

Il y a quelques jours, sur le pont Saint—Michel mais également dans d’autres villes en province, nous avons, avec d’autres, associations ou simples citoyens, rendu, comme chaque année, un émouvant hommage à ces « portés disparus » de cette ratonnade du 17 octobre 61 à Paris. 47 ans après, la quête de reconnaissance de ce crime d’état s’inscrit dans une immense attente : celle de participer à la reconnaissance d’une des pages les plus sanglantes à Paris de cette guerre d’Algérie, et plus largement à l’écriture d’une histoire coloniale assumée et reconnue officiellement. La mobilisation et l’exigence citoyenne de longue date pour que la France regarde son histoire coloniale sans complexe relève d’un triple enjeu.

Tout d’abord un enjeu de mémoire, de justice, devant ce qui s’apparente aujourd’hui encore à une forme de négationnisme : négation des victimes du 17 octobre, négation des souffrances de leurs familles, et de leurs proches , mais plus avant dans l’Histoire, négation des ravages et des conséquences économiques, sociales, culturelles, négation des forfaits, tortures, « enfumades », assassinats collectifs .qui ont marqué la colonisation et la guerre. C’est le prix minimum à payer pour rendre possible le deuil des proches des victimes et surtout pour permettre l’apaisement des logiques de haine et de revanche.

Ensuite, cette revendication est un important enjeu pour le présent et l’avenir. L’émergence dans le débat public de cette exigence de reconnaissance a pour origine notamment le sentiment de mépris que l’oubli, l’amnésie, le retard accumulé ont généré vis-à-vis des familles des victimes, de leurs proches, et de leurs enfants. Ces derniers qui de surcroît vivent souvent les humiliations quotidiennes générées par les discriminations sociales, et politiques, ressentent ce trou de mémoire comme une marque supplémentaire de mépris. Dans ce contexte, comment ne pas considérer la posture du gouvernement comme une provocation ? En effet, au lieu de sortir de son autisme politique, ce dernier s’engage dans une irresponsable logique politique visant à instrumentaliser cette mémoire. En glorifiant ce passé par une loi vantant les bienfaits du colonialisme,, allant jusqu’à l’indemnisation des assassins de l’OAS , en soutenant officiellement l’inauguration de stèles et autres murs de la honte (Perpignan, Marignane, etc.) à la mémoire des bourreaux d’hier, le gouvernement prend une lourde responsabilité.

Enfin, un défi d’avenir. Avant de tourner la page de l’histoire coloniale française il faut l’écrire à quatre mains par des historiens d’ici et de là-bas, et reconnaître ici officiellement. Démarche cardinale pour combattre le danger réel pour la République de la dynamique des concurrences des mémoires, des hiérarchies des souffrances, et de l’enfermement communautaire. C’est pourquoi, toute chose étant égale par ailleurs, sans nier les spécificité que représentent la Shoah, l’esclavage, le colonialisme, la reconnaissance des mémoires des différentes populations vivant en France et leur partage demeure une condition nécessaire et indispensable pour bâtir l’avenir du vivre ensemble.

Mouloud Aounit

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