Bouleversé par le meurtre de ces trois fidèles à l’intérieur de la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice et par l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty, dont le seul crime est d’avoir voulu montrer que la liberté d’expression ne peut avoir pour limite la divergence d’opinions, il revient à ma mémoire des souvenirs refoulés. Le 27 septembre 1997, près de Sidi Bel Abbes, onze institutrices furent égorgées devant leurs élèves, coupables du seul crime d’avoir voulu enseigner.
A Conflans, le bourreau venait de Tchétchénie, terre musulmane du Caucase riche d’une tradition spirituelle d’inspiration soufie, qui a vu venir à elle lors des deux guerres menées par les Russes, ces « wahhabites ». Des jihadistes venus combattre dans les troupes de Chamil Bassaïev, qui recevait le soutien de pays du Golfe avec lesquels nous entretenons les meilleurs rapports comme autrefois le FIS algérien fut aidé par les « frères » koweïtiens et saoudiens.
Cet islam traditionnel de nos pères a été corrodé par l’influence de pratiques rigoristes venues de pays dotés d’immenses moyens de propagation de leur doctrine. Cassettes, bourses d’études, chaînes satellitaires ont diffusé « la bonne parole ». Pire, les premiers jihadistes revenus d’Afghanistan, les « combattants de la liberté » soutenus par les Américains car ils s’attaquaient à l’ogre soviétique, ont importé une stratégie violente de la propagation du « vrai islam ». Je me souviens de ces Algériens vêtus à l’afghane qui dans les années 80 prenaient le contrôle de la mosquée de Belcourt, essaimant dans la jeunesse désœuvrée « la bonne parole ». Parole loin de celle du prophète Mahomet qui disait « les savants sont les héritiers du prophète ». Phrase que ne connaissait probablement pas le boucher de Conflans.
Plus récemment, Daesh a raffiné les moyens de recrutement de candidats au jihad, utilisant les réseaux sociaux, les forums, pour séduire, convaincre, des aspirants au martyr dans une jeunesse reléguée, pas toujours très instruite notamment sans grande culture religieuse. Ces proies faciles ont commis l’impardonnable, reniant leur famille, trahissant le pays qui les a vus grandir et qui a mis beaucoup de temps pour les reconnaître comme ses vrais enfants. Eux aussi qui ne comprennent pas que, malgré tout, ils n’ont pas de patrie de rechange.
Ils devraient ouvrir les yeux sur ce qu’ils sont, musulmans certes, mais aussi une composante de cette nation qui s’égare dans l’idée du retour vers une tradition mythifiée. Le rêve de nombre de leurs coreligionnaires est pourtant de venir vivre dans ces pays de « mécréants » où, en dépit des discriminations de l’éloignement culturel et religieux, les musulmans y sont plus heureux que chez eux. En témoignent ceux qui s’embarquent pour rejoindre cette supposée terre de cocagne.
On voudrait les entendre dénoncer la barbarie des imposteurs islamistes. On le leur demande souvent, dans les diatribes des chroniqueurs qui font leur miel de la peur qu’inspire désormais l’islam. Pour cela, il faudrait qu’on leur tende le micro, qu’on les invite sur les plateaux eux aussi, notamment ceux qui sont en mesure d’apporter un contre-discours. Ceux qui sont capables d’expliquer, de rappeler la règle sans pour autant tomber dans le reniement ou dans le ridicule quand ils sont incapables de s’exprimer dans un français décent. De vrais musulmans de France, il en existe, j’en ai croisé de remarquables en vingt ans d’engagement.
Il y a six ans, je faisais cosigner un texte que j’avais écrit à l’occasion de l’assassinat d’Hervé Gourdel, « Nous sommes aussi des sales Français ». Le président Hollande salua l’une des premières prises de parole publique de personnalités de culture musulmane pour condamner un meurtre commis au nom de leur foi. Mais à ce jour, aucune des propositions que nous avions formulées n’a été suivie d’effet.
En 2016, je cosignais l’appel des 41 où nous nous déclarions prêts à prendre nos responsabilités. En réponse, nous n’eûmes qu’une proposition de déchéance de la nationalité inconstitutionnelle, un débat sur le burkini, et la ressuscitation de la Fondation de l’islam de France ! Je me souviens encore de l’entretien avec Manuel Valls et de celui avec le ministre de l’Intérieur de l’époque. J’entends encore l’étonnement de ce journaliste de RTL qui ne comprenait pas que ce ne soient pas des gens « comme nous » qui soient sur les plateaux !
Qu’attend-on pour les écouter, les promouvoir dans les débats, sur les plateaux ? Ou faudra-t-il accepter une autre forme de plafond de verre qui voudrait que ne puissent s’exprimer que les experts du sérail coupés du terrain ? Faudra-t-il encore que l’on s’obstine à refuser d’offrir en exemple à la jeunesse tous ceux qui ont malgré tout pu prendre l’escalier social, puisqu’il est acquis que l’ascenseur ne monte pas à tous les étages ?
Faudra-t-il qu’on taise encore le fait qu’il y a en France 5 millions de musulmans qui doivent s’impliquer plus dans la vie politique et publique, à condition qu’on leur fasse une place ? Ceux-ci doivent s’élever contre l’imposture représentée par les pseudo-jihadistes et réagir lucidement, avant tout en tant que citoyen français, ce qui ne le met pas en porte à faux avec leur foi qui est aussi universelle que les deux autres religions monothéistes.
Il y a un enjeu pédagogique, notamment envers la jeunesse, sur ce qu’est la laïcité, et sa singularité française qui tient à des raisons historiques, l’école n’y arrivant pas. Pour cela il faut renoncer et au simplisme, et à l’autocensure, sur des vérités qui déplaisent. Plus qu’une loi sur le séparatisme, ayons le courage de mettre les pieds dans le plat : la visibilité de l’islam gêne et certains musulmans, faute d’autre référence que celle venue des franges extrêmes, font fausse route.
Réunissons les conditions d’un débat franc et serein mais avec d’autres animateurs que les professionnels de la polémique.
Cherchons des canaux pour parler aux quartiers populaires où se concentrent les misères propices à l’éclosion de l’islamisme, comme à Alger ou ailleurs. Pour la communauté nationale, mais aussi pour les musulmans de France, plus éprouvés qu’ils ne le disent ou qu’on ne le croit par tous ces drames.
Madjid Si Hocine