Etudiants de Sciences Po Paris, nous nous engageons dans la lutte contre l’abstentionnisme dans les « quartiers». En incitant les jeunes des « cités » à s’inscrire sur les listes électorales, nous renouons avec l’action civique.
Nous avons eu la chance de faire nos études à « Sciences Po », une école supposée former les décideurs de demain. Dès aujourd’hui, nous voulons changer le regard que l’on porte sur la banlieue. Nous souhaitons dépasser notre réussite individuelle pour nous engager dans une aventure collective, apolitique et citoyenne.
Les émeutes de novembre 2005 reflétaient le désespoir et le sentiment d’abandon d’une jeunesse frustrée. Mais la colère s’est essentiellement exprimée par la violence et non par l’action politique. En Seine-Saint-Denis, le taux d’abstentionnisme aux dernières élections législatives atteignait 48%, un chiffre vertigineux qui en dit long sur l’isolement politique des habitants de ces cités.
La semaine dernière à Mantes-la-jolie, alors que nous distribuons des tracts, plusieurs jeunes nous ont dit que leur vote n’avait pas de valeur, qu’il ne comptait pas autant que celui d’un citoyen ordinaire. Cassons l’imaginaire du vote asymétrique qui contredit le principe même de suffrage universel. Après avoir jeté un œil sur le tract qu’on lui distribuait, un habitant Grigny s’est montré perplexe. Il prétendait qu’il fallait trouver un travail avant d’aller voter.
Beaucoup de jeunes issus de l’immigration oublient que leurs parents n’avaient pas le droit de vote. La première et la deuxième générations d’immigrés nés en France ont la chance d’avoir la nationalité française et donc le droit de vote, et il est donc de leur devoir d’exercer pleinement ce droit.
Au regard des politiques, les cités ne sont pas génératrices d’électeurs. C’est faux, les banlieues représentent plus de 6 millions d’électeurs potentiels…
L’année dernière, la mobilisation citoyenne à Clichy-sous-Bois a eu un effet immédiat : 1200 nouveaux inscrits sur les listes électorales. Si les 750 cités de France obtiennent le même score avant le 30 décembre 2006, les banlieues françaises représenteront 3% de suffrages supplémentaires, soit 750 000 nouveaux électeurs : de quoi faire ou défaire un président.
N’oublions pas que la victoire de Romano Prodi en Italie a eu lieu avec seulement 20 000 voix d’écart par rapport à son rival Silvio Berlusconi et que 2000 voix ont suffi à faire basculer le Sénat américain dans le camp démocrate. En Allemagne, la victoire d’Angela Merkel face à Gerhard Schröder, dépendait de quelques milliers de voix qui ont fait la différence.
Autre erreur : les candidats en lice croient pour l’instant qu’ils n’ont pas besoin de faire campagne dans des zones où le vote est devenu une pratique marginale. A ce jour, aucun programme politique ne prend réellement au sérieux l’immense tâche qui reste à accomplir dans les quartiers.
Il faut que la campagne présidentielle s’invite dans les banlieues et que les banlieues s’invitent dans la campagne. Contre les discours anti-système qui prétendent s’exprimer au nom d’une jeunesse désenchantée, contre ceux qui accusent la droite comme la gauche de ne pas agir, nous chercherons sans relâche à réintégrer les banlieues au système démocratique et à sortir ses habitants du désert politique dans lequel ils vivent depuis des années. Ouvrons le débat entre les grands partis politiques et les habitants des cités. Rappelons que seul le vote scelle la réflexion et la concrétise.
Si les populations des quartiers pèsent électoralement, les nouveaux élus lanceront enfin un plan Marshall pour les cités. Dès l’instant où les quartiers prendront conscience de la force politique qu’ils représentent, les élus n’auront plus le choix : ils devront s’attaquer aux questions d’urbanisme et d’égalités des droits. Les associations, présentes sur le terrain depuis plus de 20 ans auront enfin la légitimité qu’elles méritent : elles seront aussi puissantes que les lobbys d’électeurs qu’ils soient agriculteurs, buralistes ou restaurateurs.
Il y a urgence ! Il reste 17 jours pour s’inscrire sur les listes. Chaque jour, nous allons à la rencontre d’une nouvelle association sur le terrain. Si dans chaque cité, une association s’engage, nous aurons une chance d’atteindre notre objectif commun. Nous avons déjà établi un partenariat avec le « Mouvement pour une citoyenneté active», les associations Collectif Banlieues respect , » L’égalité d’abord ! » …
Notre combat ne s’arrête pas le 30 décembre. Trois membres de l’association « votez banlieues » vont se rendre de Paris à Strasbourg à pied, ce samedi après une distribution de tracts au marché de Montreuil en compagnie d’une dizaine d’associations. Le but de cette marche est de reprendre la marche pour l’égalité de 1983 qui est partie de Marseille pour atteindre Paris. Il s’agit, à travers cette longue épreuve, d’accompagner le compte à rebours, en espérant que des initiatives en faveur des inscriptions naîtront partout sur l’Hexagone (le 30 décembre est la date limite pour les inscriptions sur les listes électorales).
Si cette initiative vous intéresse, vous pouvez y participer de près ou de loin avec votre temps, vos talents, vos écrits, vos idées, vos réseaux, vos soutiens financiers… Cette marche se veut un acte concret de foi en la France. Il semblerait que de la force du désespoir surgisse l’espérance. Alors, pour reprendre le fameux vers de Rouget de Lisle, nous disons : « Marchons, marchons jusqu’à Strasbourg ! ».