Après les intentions louables, l’urgence des actes

Il est incontestable que le discours du Président Obama prononcé au Caire le 4 juin dernier a marqué une rupture totale et salutaire –tant au niveau des valeurs humanistes qu’au niveau de la pensée politique- avec les errements passés de l’Administration Bush qui, par ses présupposés idéologiques et sa croyance dans le destin quasi divin des Etats-Unis à guider le monde, représentait un danger constant pour la paix et l’équilibre du monde qui se joue au Moyen-Orient.
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Discours éminemment politique s’il en est, discours de refondation dans lequel nombre de thèmes abordés ne sont pas étrangers à nos préoccupations ; dans ses grandes lignes, un discours auquel somme toute le MRAP ne peut que souscrire, fait d’intelligence de la situation internationale, de réalisme politique et de recentrage idéologique non dépourvu d’une certaine habileté rhétorique.
• Intelligence de la situation internationale :
Ce discours prend acte de la nouvelle donne au niveau international qui voit la toute puissance des Etats-Unis concurrencée par les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) dont l’influence sur la scène internationale ne peut plus être ignorée et qui forcent les Etats-Unis, qui n’ont plus les moyens de décider et d’agir seuls, à devoir admettre un certain multilatéralisme.
• Réalisme politique et pragmatisme :
En ce domaine se manifeste toute l’habileté du discours et l’intention de Barack Obama de rebattre les cartes et les données politiques . Il en est ainsi de la reconnaissance de l’Iran comme partenaire dans les négociations, de son droit à l’énergie nucléaire pacifique, tout comme l’acceptation du dialogue avec l’islam politique – une ligne de démarcation claire séparant les mouvements politiques qui s’en réclament et Al Qaïda –représentent des avancées certaines ; la reconnaissance de fait du Hamas dont Barack Obama affirme qu’il a un rôle à jouer dans l’avenir de la Palestine en est la conséquence la plus directe.
• Recentrage idéologique :
L’éloge de la civilisation musulmane, de nature à dépassionner les rapports entre Orient et Occident, laisse la porte ouverte à une nécessaire réconciliation entre les peuples de nature à mettre hors jeu tous les fauteurs de guerre –islamistes dévoyés comme intégristes et faucons étatsuniens- et marque de façon nette l’abandon de la théorie du « choc des civilisations » et de la « guerre au terrorisme » – mot qu’il a d’ailleurs évité de prononcer.
Recentrage idéologique de première importance, plus respectueux et des personnes et des peuples et de leur culture, dans une vision à laquelle d’aucuns reprocheront un certain multiculturalisme mais qui cependant reste la voie la plus apte à réduire les tensions provoquées par la période Bush dans l’ensemble du monde musulman, du Maroc à l’Iran et à l’Indonésie , Obama ayant su opportunément rappeler son enfance dans ce pays.

Néanmoins la volonté affirmée précédemment par le président Obama de voir se créer un grand Moyen-Orient –projet déjà présent sous l’Administration Bush- ne correspond-elle pas à la poursuite des mêmes buts –le contrôle de la région- part des moyens différents ?
Ainsi peut s’expliquer le désintérêt actuel des Etats-Unis pour leur arrière-cour traditionnelle que représente l’Amérique latine et qui permet la concentration de leurs forces au Moyen-Orient qui continue à revêtir pour eux une valeur stratégique primordiale.
Le renfort des troupes en Afghanistan, même si une redéfinition de la présence étrangère dans ce pays est à l’ordre du jour, doit nous inciter à rester vigilants.

Pour le MRAP, le discours du président Obama n’est manifestement pas insincère, mais dans la situation actuelle alors que restaurer leur crédit dans la région est essentiel pour les Etats-Unis, le caractère obligé du discours du Caire ne doit pas être sous-estimé et il est à craindre que la raison d’Etat ne l’emporte sur des déclarations aussi nobles fussent-elles.

La condamnation d’Israël pour la poursuite de la colonisation des territoires occupés sans pour autant l’assortir d’éventuelles sanctions ni remettre en cause une occupation illégitime qui dure depuis plus de quarante ans, tout comme la reconnaissance du droit des Palestiniens à un Etat subordonné à l’application d’une feuille de route qui ne prend pas en compte l’ensemble de leurs droits montrent les limites d’un engagement qui en l’état ne peut répondre à l’urgence et à la gravité de la situation même si les prises de position de Barack Obama sont en rupture avec la politique de son prédécesseur.

« Il faut que tout change pour que rien ne change » disait devant les remises en causes révolutionnaires un aristocrate sicilien dans « Le Guépard », cette maxime, si elle ne correspond pas vraiment à la situation, ne peut être cependant définitivement écartée.
Quoi qu’il en soit, malgré les réserves émises, les avancées significatives ne doivent pas être négligées.
Ainsi l’importance que le président Obama a accordée au droit des peuples à choisir librement leur gouvernement allant jusqu’à ne prononcer aucun compliment envers le président égyptien dont il était pourtant l’hôte doit être un encouragement à lutter pour plus de démocratie même s’il existe toujours un décalage entre de telles déclarations de principe et la légitimation des luttes.
A la manière dont les opprimés et les colonisés ont su s’approprier et retourner contre les métropoles les discours et les idées généreuses de liberté, d’égalité, de fraternité ou de justice que les gouvernants de l’époque oubliaient de mettre en pratique, aux citoyens et aux peuples du Moyen-Orient aujourd’hui de s’approprier le discours de Barack Obama, de le retourner et de s’en servir de levier dans la lutte contre leurs maîtres locaux ou étrangers.
S’il est aujourd’hui difficile d’évaluer la portée du discours du Caire, seules les luttes sociales et politiques et le renversement des régimes autoritaires et corrompus qu’elles auront provoqué démontreront réellement si ce discours mérite d’être qualifié d’historique.
Ce qui est attendu par tous les défenseurs des droits de l’homme et de la dignité des peuples, c’est que les intentions proclamées dans le discours du Caire se concrétisent par des actes rapides et significatifs mettant en leur cœur les exigences d’un monde plus juste et de solidarité plus active.

Mouloud Aounit-Membre du collège de la Présidence du MRAP

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