Grigny le 18 janvier, Saint-Denis le 19 janvier, Mantes-la-Jolie le 20
janvier, Aubervilliers le 21 janvier, quatre rencontres organisées
conjointement par le MRAP et l’UJFP (Union des juifs français pour la
paix) pour se mettre à l’écoute, échanger, entendre les colères de
populations souvent privées d’expression mais dont la mobilisation en
faveur du peuple palestinien montre combien elles restent attentives et
concernées par les affaires du monde.
Huit cents participants au total, douze heures de débats, sans aucune
présence médiatique. Pourtant les dialogues furent graves, passionnés,
de haute tenue, et les échanges vifs, sans complaisance ni retenue. En
pleine crise du conflit, ces moments intenses de rencontres ont été
l’occasion de comprendre les raisons et le sens de l’exceptionnelle
mobilisation des quartiers populaires. L’émergence massive dans cet
espace de populations françaises issues de ces quartiers, absentes
jusqu’alors dans les mobilisations citoyennes, mérite une attention et
une écoute toutes particulières. Les échanges, les questionnements tout
comme la libération d’une parole exigeante, tout ceci est porteur d’espoir.
Point commun à toutes ces réunions, tout d’abord l’expression d’une
profonde solidarité passionnée et une immense colère mais toujours
empreinte de dignité provoquée par le réel fossé entre la réalité des
enjeux et des motivations de ce conflit, et la représentation qui en est
donnée par les médias. Partout, ce fut l’occasion de voir des militants
associatifs expérimentés, quelques militants politisés côtoyer de
manière féconde dans l’échange mutuel des citoyens anonymes venus
exprimer publiquement avec leurs mots tout à la fois leurs émotions, et
le sens de leur solidarité parallèlement à l’exigence de justice, et
d’égalité de traitement.
Si, au cours de ces réunions, le refus et la condamnation sans appel des
violences et des actes antisémites se sont exprimés sans ambigüité, ces
faits n’ont cependant pas détourné l’attention portée au cours principal
des évènements. Toutefois si leur sur représentation tant dans les
discours officiels qu’au niveau des médias a été critiquée, la peur de
leur instrumentalisation et de leur stigmatisation fut exprimée,
laissant craindre chez certains participants inquiétudes et menaces à venir.
Mais le sentiment dominant a été principalement celui de la colère :
celle manifeste et palpable devant l’impuissance, voire de la complicité
de la communauté internationale, et la « lâcheté » de l’Union européenne
et des dirigeants des pays arabes incapables non seulement d’anticiper
le massacre mais aussi d’y apporter les réponses politiques. Et le
constat a été sans concessions. Colère devant l’absence injustifiable de
pressions efficaces contre Israël, le sentiment d’impuissance, le
laisser-faire face aux crimes de guerre. Terrible sentiment d’injustice
face au deux poids deux mesures, à l’absence d’indignation des
politiques, des grandes consciences morales, intellectuelles devant le
massacre. Le tout accru par un fort ressentiment face à une indignation
qui reste toujours aussi sélective dès lors qu’il s’agit de la question
palestinienne. Enfin, incompréhension et refus devant la posture
présentée comme équilibrée entre les protagonistes mais qui ne fait en
fin de compte qu’exonérer Israël de sa responsabilité dans le conflit.
Positif et méritant d’être souligné, le refus de confessionnaliser et de
communautariser ce conflit a été réaffirmé au cours de ces réunions.
Pour beaucoup de participants, et ce fut une lecture et une ligne de
conduite qui fit consensus. Ce conflit et cette guerre, ce massacre sont
d’abord et avant tout le fait d’une situation coloniale qui se perpétue
en Palestine. Aussi le refus fut-il unanime de mettre sur un même pied
d’égalité un peuple spolié, nié dans ses droits et libertés
fondamentales, un peuple colonisé et une puissance colonisatrice. Sur le
Hamas, les discussions furent âpres et vives. Même si nous étions
nombreux à ne partager ni le programme ni l’idéologie portés par ce
mouvement, à rester réservés et réticents, il n’en reste pas moins vrai,
et ce fut vérifiable partout, que la diabolisation du Hamas est tout à
la fois un échec et un piège qui ne trompe que ceux qui veulent être
trompés. La nécessité de préserver l’unité du peuple palestinien fut
rappelée à plusieurs reprises. Ce qui est ressorti c’est d’abord et
avant tout le non-respect de l’expression démocratique des Palestiniens
et le sentiment que les évènements de Gaza pouvaient se lire comme une
sorte de punition collective d’un mal vote.
La revendication du droit à l’indignation et à l’identification fut
aussi largement débattue et exprimée. Il est vrai qu’au-delà de la
solidarité, la tragédie de Gaza joue comme une sorte d’effet miroir,
s’apparente à un exutoire où les souffrances, le mal-être, l’injustice,
liés aux discriminations, aux relégations, vécues ici, trouvent une
certaine proximité avec le vécu de la population palestinienne. En
conclusion, ces quelques leçons tirées de ces rencontres sont, somme
toute, porteuses d’espoir. Tout d’abord par l’émergence massive et
inédite, l’implication de ces populations des quartiers prêtes à
s’impliquer et prendre toute leur place dans l’espace public et
politique. Ces moments d’échanges et de fraternité humaine portent
l’espoir que les exigences de l’universalité des droits et des libertés
fondamentales sont toujours présentes et que le vivre ensemble n’est pas
altéré par ce conflit. Même s’il ne faut pas oublier que la menace
principale de la cohésion nationale reste et demeure les relégations,
les injustices, et la stigmatisation, ces rencontres ont démontré que
des potentialités existent qui ne demandent qu’à s’exprimer. Malgré les
difficultés, les capacités à s’émouvoir, à être solidaires et à
revendiquer sont une réalité, réalité qui structure de fait des espaces
d’échanges et de construction du politique.
Mouloud Aounit