Hortefeux s’arrange avec la Licra et le Cran

Le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, a été condamné le 4 juin 2010 pour injure raciale (il a fait appel du jugement) après ses propos tenus lors de l’université d’été de l’UMP en septembre 2009. Nicolas Sarkozy ne lui a pas demandé de démissionner. Il lui a même confié un ministère aux compétences élargies lors du remaniement ministériel. En plein délire sécuritaire, son directeur de cabinet, Michel Bart, a signé le 5 août 2010 une circulaire visant explicitement les Roms. Critiqué de toutes parts, le texte a été retiré. Mais le bras droit du ministre n’a pas été évincé. Il a même été reconduit dans ses fonctions à l’occasion du changement de ministres.
La liste est longue. Et ce n’est pas fini. L’ex-adjointe de sécurité Sihem Souid, auteure d’un livre, Omerta dans la police (Cherche midi, octobre 2010), dénonçant les «discriminations» à la police aux frontières, a été suspendue de ses fonctions pour quatre mois pour «manquement à son obligation de réserve», selon une «source proche du dossier» interrogée par l’AFP. La dépêche date du 1er décembre 2010.
Le même jour, Brice Hortefeux, qui n’en est pas à une contradiction près, était en train de signer, avec le président de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), Alain Jakubowicz, une convention pour la «mise en commun de (leurs) forces».
Aux termes de cet accord, les deux parties ont «pris l’engagement de coopérer en matière de veille sur internet (…), d’établir sur tout le territoire des contacts permanents entre (leurs) services (…) et de collaborer dans l’aide aux victimes»; le ministre a promis de «distribuer la documentation de la Licra dans les commissariats et les gendarmeries» et de faire «bénéficier» les policiers et les gendarmes de «sessions de sensibilisation» sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme menée par l’association.
La présentation de cette convention a été l’occasion, pour le ministre, de faire part, en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, de sa «conviction», mais aussi de son «engagement» ou encore de sa «force de volonté». Citation: «Nous partons d’un constat commun, c’est que le combat contre le racisme et l’antisémitisme doit se renforcer. Je pourrais citer des chiffres montrant que ces phénomènes reculent cette année par rapport à 2009, en nombre de faits constatés, de janvier à octobre: 738 faits pour le racisme (-15%), 412 pour l’antisémitisme (-45%). Tout cela est vrai, mais il est pourtant évident que ce résultat n’est pas satisfaisant. D’abord parce qu’il ne s’agit que d’une amélioration très relative après la flambée de l’année 2009 et des événements de Gaza. Mais aussi et surtout, plus profondément parce que nous savons que le racisme et l’antisémitisme se manifestent par bien des comportements, qui ne sont pas des faits constatés, mais qui sont inadmissibles, car ils sont des atteintes à la dignité d’homme de ceux qui en sont la cible.»

Amine Bénalia-Brouch, la «cible» des propos de Brice Hortefeux («Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes»), vient de décrire ce sentiment dans un livre, Confessions d’un sarkozyste repenti (éditions Jean-Claude Gawsewitch, octobre 2010): «Pour blanchir un ministre et servir la cause de mon parti (l’UMP), j’ai accepté de renier certaines de mes convictions les plus profondes. En agissant ainsi, j’ai piétiné ma dignité et celle de mes parents. J’ai blessé, je le sais, des dizaines de milliers de Français. Certains d’entre eux se sont sentis humiliés par mon attitude et ma complaisance à l’égard d’un dérapage ministériel.»

·«C’est honteux que cette jeune femme soit sanctionnée»

En présence d’Alain Jakubowicz, Brice Hortefeux a aussi confirmé qu’il serait le ministre chargé d’un plan national de lutte contre le racisme et qu’il créerait au «printemps 2011» un Observatoire consacré au racisme, dont la présidence pourrait être confiée au Conseil représentatif des associations noires de France (Cran).

Il y a une semaine, mardi 23 novembre, le Cran, justement, annonçait qu’il retirait sa plainte pour «incitation à la haine raciale» contre le directeur de cabinet du ministre, à l’origine de la circulaire du 5 août sur les Roms. Interrogé par Mediapart à propos de ce revirement, alors que cette association avait été la seule à porter l’affaire devant la justice, Patrick Lozès, le président du Cran, a indiqué «avoir reçu une lettre de regrets» de Michel Bart (qu’il n’a pas souhaité rendre publique) et «vouloir créer les conditions d’un climat propice pour faire avancer concrètement la lutte contre le racisme». «On a compris qu’on était sur le point d’obtenir les mêmes résultats sans passer par le prétoire. Pour nous, la République est un espace de dialogue et de tolérance. Nous verrons si nous avons eu tort ou raison», a-t-il insisté.

Le risque d’instrumentalisation est réel. Celui de cautionner la politique d’un ministre condamné pour injure raciale aussi. Patrick Lozès le sait. «Je n’ai pas le droit, estime-t-il, de demander aux personnes qui souffrent de racisme d’attendre deux ans et demi de plus. Il faut que les choses changent ici et maintenant. Ce pragmatisme-là me conduit à accepter. Nous serons vigilants à ce que les engagements soient tenus. On nous jugera sur les résultats», répète-t-il.

La démarche est identique à la Licra. «Nous sommes pragmatiques, indique le président de l’association, je ne dirais pas opportunistes, mais pragmatiques et proactifs. La Licra ne choisit pas les ministres. Brice Hortefeux, nous sommes souvent en désaccord avec lui. Mais, là, c’est la première fois qu’un ministre nous propose une convention pour agir concrètement sur un domaine qui est le nôtre. Il n’est pas question de perdre notre liberté de ton, de parole ou de critique. Si nous avons quelque chose à dire, nous le dirons, en toute indépendance politique. D’ailleurs, le ministère n’a émis aucune condition à notre accord.»

Néanmoins, Alain Jakubowicz reconnaît être sorti «marri» de la réunion place Beauvau lorsqu’il a appris que la fonctionnaire de police, Sihem Souid, venait d’être suspendue de ses fonctions. «C’est honteux, estime-t-il, que cette jeune femme soit sanctionnée. Quand on est en présence d’un délit, il faut le dénoncer. Elle aurait dû être décorée car elle a fait avancer les choses.»
Le moins que l’on puisse dire est que cette nouvelle collaboration commence mal.

Par Carine Foutreau paru dans Médiapart le 2/12/10

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