Pour que le cauchemar ne devienne pas réalité

On a beau dire le FN au second tour, dur de s’y faire! Nous aurons un débat de second tour opposant Marine Le Pen à Emmanuel Macron. Elle a réussi la première partie de son pari

Que de chemin parcouru depuis le début des années 80 pour les extrémistes d’un groupuscule animé par un rescapé du poujadisme entouré d’un magma de catholiques traditionalistes, de nostalgiques de Vichy et de l’Action française, devenu aujourd’hui part entière du paysage politique. Une seule touche d’espoir, elle était donnée gagnante par tous les sondages depuis des mois et elle «n’est que deuxième». Cette fois, il existe un risque qu’il n’y ait pas un report républicain plein et entier, d’autant que le second tour se situe en plein pont du 8 mai, et qu’une partie de l’électorat du candidat déchu des républicains est plus proche que ne l’ont jamais été les électeurs de droite du FN.

Rien n’est gagné
Certains penseront sans doute que les jeux sont déjà faits et seront tentés par l’envie d’aller à la pêche, convaincus que c’est déjà gagné. François Fillon est battu, la morale est sauve. Mais tout de même 21 % des électeurs ont choisi de voter pour un parti que l’on qualifiait jadis de raciste et fasciste.

Quand je dis jadis, je ne fais pas référence à l’époque de la chanson de Roland. Souvenons-nous ! Le 1er mai 2002, 500 000 personnes défilaient contre Le Pen père en lice pour le second tour! Souvenons-nous en 2012 Marine Le Pen ne rassemblait qu’un peu plus de 5 000 000 de voix au premier tour, en cinq ans, elle en a gagné plus de 2 000 000 !

Aujourd’hui les appels au barrage républicain sonnent aussi vrais que les promesses d’amour éternel dans un couple rongé par la routine. Quelle sera la prochaine étape ? Quelle sera la prochaine transgression que réaliseront des électeurs français rongés par les déceptions, l’absence de perspectives claires et dévorés par un pessimisme dont on dit qu’il est plus élevé que celui des Afghans.

On a déjà compris qu’une partie des Républicains dans certaines régions sont prêts à franchir la barrière de l’espèce républicaine. Ce n’est qu’une question de temps ou de menace de triangulaire. Qu’il est loin le temps où Chirac acceptait de perdre une élection plutôt que de perdre son âme, alors que Charles Million, Jean Pierre Soisson, Jacques Blanc disaient oui aux régionales de 1998. En 1980, à l’aube de l’accession de François Mitterrand à la magistrature suprême, le FN comptait 270 adhérents. Combien aujourd’hui ?

En 1986, alors que 35 députés FN entraient à l’Assemblée, le groupe Carte de séjour, emmené par Rachid Taha, reprenait dans une version arabisante Douce France de Charles Trenet, les 14% du FN à la présidentielle de 1988 inspireront aux Bérurier la chanson Porcherie et son célèbre «la jeunesse française emmerde le Front national» que l’on devrait faire écouter à cette jeunesse qui aujourd’hui vote pour lui.

Au-delà du «dégagisme»
Qu’est-il donc advenu de cette capacité à s’émouvoir, à s’opposer, à sortir dans la rue pour manifester une colère qui semble bien endormie. Le «dégagisme» qui a envoyé promener toute une génération de notables, l’habitude, la résignation ont-ils neutralisé tous nos anticorps. Avons-nous, après plus de trente ans de crise, de chômage, de décadence supposée, de menaces terroristes perdu cette capacité à s’émouvoir devant la menace de l’extrême droite. Serait-ce que la lepénisation des esprits a réussi son travail de mithridatisation? Croyons-nous au fond de nous-même, que toute façon, il ne sert à rien de s’y opposer et que si ça doit arriver et bien cela arrivera, comme ceux qui lancent à la cantonade «ce qu’il nous faudrait, c’est une bonne guerre» ?

Reniements, fausses promesses, incompétences, tergiversations, en ont fait plus pour le FN que les Le Pen eux-mêmes. Une classe politique coupée du pays réel comme l’appelait Charles Maurras, aveugle à la misère polymorphe que l’on croise dans les quartiers populaires ou les campagnes oubliées des reportages et des émotions convenues des grands parleurs qui n’ont pas comme disait Sartre, «les mains sales jusqu’aux coudes… plongées dans la merde et le sang». Des Français inconscients de leur chance et du bonheur qu’ils ont malgré tout, à vivre ensemble dans ce pays qui, même chamboulé par la crise, le terrorisme, l’individualisme et le délitement des repères habituels, reste un espace largement plus hospitalier que son environnement proche.

Le second tour est loin d’être joué, il va falloir convaincre ceux qui sont rétifs et qui risquent de choisir l’abstention, ou pire le FN. Par-delà le résultat de la présidentielle, voire des législatives qui nous diront qu’elle sera la majorité qui gouvernera ce pays qui doute comme jamais. Prions pour que si Emmanuel Macron est élu, il soit à la hauteur des espoirs de ceux qui auront voté pour lui, soit par un enthousiasme rafraîchissant, notamment cette jeunesse qui s’est enfin réengagée, qui n’a d’égal que celui que l’on a pu observer chez ceux qui ont rejoint la France insoumise, soit pour faire barrage au FN, et qu’ils ne soient pas déçus. Si cela venait à être le cas, les 7 600 000 électeurs de Marine Le Pen pourraient être si nombreux que le cauchemar deviendrait réalité. Emmanuel Macron, qui aime citer René Char, on aimerait lui rappeler les vers du Moïse de Vigny, car il est comme Josué : «Marchant vers la terre promise, Josué s’avançait pensif et palissant, Car il était déjà l’élu du tout-puissant.»

Madjid Si Hocine Médecin, militant associatif et animateur de l’égalité d’abord.fr

(texte paru dans le quotidien Libération)

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