Tenir parole (post de Bertrand Delanoe sur son blog)

23 octobre 2012

Des 110 propositions de François Mitterrand aux 60 engagements de François Hollande, une promesse restée lettre morte durant trois décennies continue à se faire entendre, en dépit du vacarme assourdissant des préjugés, des bonnes excuses et des mauvaises raisons. C’est avec constance et enthousiasme qu’à chacune des campagnes qui l’ont portée au pouvoir depuis 1981, la gauche a annoncé qu’elle accorderait aux étrangers le droit de vote aux élections locales. C’est avec constance également malheureusement qu’elle s’est jusqu’à aujourd’hui avérée incapable de tenir sa parole sur ce sujet précis. Confrontée à l’équation complexe d’une opinion dubitative et d’une majorité parlementaire introuvable, elle s’est plus d’une fois résignée à ne pas accomplir ce qui lui semblait juste. Il est temps que ce hiatus injustifiable entre la parole et les actes cesse. Il est temps qu’une citoyenneté de résidence trouve sa place dans notre pays à côté de la citoyenneté nationale. Il est temps de laisser toutes les bonnes volontés déterminer ensemble démocratiquement les conditions présentes et à venir de la vie de la Cité.

Bien-sûr cette mesure suscitera le débat. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays qui accorde autant de prix à la citoyenneté ? Certaines voix s’élèveront contre une loi qui leur semble porter atteinte à la cohésion nationale ; d’autres annonceront la dissolution d’une identité française qu’ils s’imaginent leur appartenir; une minorité enfin ne résistera pas à la tentation de la provocation et de l’invective. Loin de nous inciter au silence, la perspective de ces discussions passionnées doit nous mobiliser. Elles seront pour les forces progressistes l’occasion idéale de faire valoir une position qui leur est chère et que les trente dernières années ont objectivement consolidée.

A ceux qui craignent l’avènement d’un communautarisme électoral, nous pourrons proposer, parmi les 16 pays de l’Union Européenne à avoir ouvert la citoyenneté aux résidents étrangers, l’étude de la démocratie irlandaise où il ne semble pas depuis 1963 que le bien commun ait été pris en otage par des groupes particuliers. A ceux qui considèrent que l’attachement à une autre nationalité est exclusif du service de la France , il nous sera facile, ne serait-ce qu’en remontant à la Libération , de fournir des exemples historiques démontrant éloquemment l’inverse. A ceux qui invoquent une citoyenneté française insécable de la nationalité, nous saurons rappeler l’article 4 de la constitution de 1793, selon lequel « Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard ; tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité, est admis à l’exercice des Droits de citoyen français. ». A ceux enfin qui s’inquiètent de voir l’ordre public ébranlé par la mesure, nous prendrons le temps d’expliquer que les progrès du civisme suivent toujours les progrès de la citoyenneté.

L’honneur de la gauche est aujourd’hui de tout mettre en œuvre pour faire adopter, avant mars 2013, cette réforme de justice et de cohésion sociales, afin qu’elle soit applicable aux élections municipales de mars 2014. Elle doit prendre le risque d’être caricaturée et même celui d’être momentanément impopulaire pour donner aux étrangers résidents le droit légitime qu’elle leur promet depuis longtemps. Comme l’abolition de la peine de mort en 1981, cette réforme n’est pas sans difficulté ni sans danger pour celles et ceux qui oseront la conduire. Mais comme en 1981 ils pourront compter sur le soutien des forces progressistes partout dans le pays. La perspective d’un vote négatif du parlement, où la majorité des 3/5 sera requise, loin de nous paralyser, doit nous galvaniser, pour convaincre un par un les parlementaires, au-delà des clivages idéologiques classiques, du bien-fondé de cette mesure. Dans cette entreprise difficile il ne nous est pas interdit d’échouer – il nous est interdit de ne pas entreprendre.

bertranddelanoe.net

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