Vers une nouvelle chasse aux sorcières ?

Bien avant un certain quotidien national, Beaumarchais avait fait sienne ce précieux adage : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». La liberté journalistique et la critique des religions, quelles qu’elles soient, sont un droit imprescriptible dans nos sociétés démocratiques. Pour autant, l’injure, la stigmatisation et l’incitation à la haine religieuse ne sauraient être convoquées pour servir d’alibi et se substituer à une liberté d’expression chèrement acquise, et élément moteur, consubstantiel de notre état de droit.

Charlie Hebdo, journal multirécidiviste dans ses provocations islamophobes a trouvé encore une fois « le filon en or » dans sa dernière publication de caricatures sordides et répugnantes : au nom de la liberté d’expression, à laquelle nous sommes tous attachés, ce « charlot hebdo » déverse sans complexe sa haine viscérale totalement assumée.

Mais la sagesse universelle nous a enseigné que la haine est la colère des faibles. Sur le plan commercial, l’affaire est certes, bien huilée dès lors que l’islam est devenu presque synonyme de sensationnalisme. Notons au passage le revirement éditorial très ciblé d’un hebdomadaire jusque-là classé très à gauche et, chose inédite, aujourd’hui soutenu publiquement et d’une manière assez ubuesque par une certaine…Marine Le Pen !

Les clivages politiques s’effacent devant l’ennemi commun, cet islam bouc-émissaire coupable de tous les maux ! On l’aura compris la mode politico-médiatique n’est pas à la conjuration des démons de la haine avec la banalisation d’une islamophobie décomplexée et publiquement assumée.

A cet égard, la présidente du Front de la haine a franchi un nouveau cap en se prononçant pour l’interdiction du voile dans l’espace public. La visibilité des musulmanes dans « les magasins, les transports, la rue » semble poser problème pour cette intégriste politique qui instrumentalise la laïcité et jette à nouveau de l’huile sur le feu dans un contexte national et international explosifs.

Agents municipaux coupables de jeûner au travail, nounous voilées interdites d’accompagner les enfants lors des sorties scolaires, barbus licenciés de leur travail en raison de leur confession musulmane, et voilà que maintenant on préconise un nouveau « serrage de vis » et une restriction supplémentaire des libertés fondamentales. Ne sommes-nous pas en train de voir se profiler une version revue et corrigée d’un néo-maccarthisme ?

Force est de constater que nous en apercevons les prémisses, notamment après les déclarations de fermeté et l’interdiction de toute manifestation anti-caricatures sous le prétexte de troubles à l’ordre public. Posture très inquiétante car elle pose le postulat de musulmans violents, incontrôlables, incapables d’une expression pacifique respectueuse du cadre légal. Notons au passage l’usage volontairement galvaudé par certains médias des « manifestations islamistes » pour accroître encore l’islamo-paranoïa.

Qu’en serait-il si M. Valls interdisait les manifestations des communautés juive, chrétienne, bouddhiste, ou même les marches des corporations syndicales en France ? Nous ne pouvons que souscrire à l’appel à l’apaisement des responsables cultuels musulmans et nous restons sereins quant à la vigilance et au recul dont saura faire preuve la deuxième communauté religieuse de l’Hexagone ; en même temps, les velléités d’encadrement des musulmans de France, traités tels des mineurs sous tutelle, interpellent sur le plan du droit, de l’éthique et questionnent notre vivre-ensemble.

L’épisode indigeste des dernières caricatures du prophète de l’islam dans Charlie Hebdo aura tout de même été révélateur d’un modus vivendi entre un Ministre de l’Intérieur socialiste et un ancien Premier ministre UMP.

Le premier rappelant que la liberté d’expression, dont la caricature, était « un droit fondamental »tout enexpliquant que « les tribunaux sont là pour être saisis par ceux qui se considéreraient comme attaqués, offensés ». De son côté, François Fillon apportant son soutien total au journal satirique : « Ce qui est en train de se passer avec cette espèce d’intolérance qui monte dans une grande partie du monde et qui est instrumentalisée par des extrémistes (…), c’est une sorte de régression par rapport à l’état de la civilisation. (…) Je défends Charlie Hebdo, je défends la liberté d’expression et je pense qu’on ne doit pas céder un pouce de terrain dans ce domaine-là. » ! Le procédé est, somme toute, très classique : on essentialise la marge, laquelle se métamorphose en norme globalisée ! On est en droit d’attendre plus de circonspection de nos dirigeants politiques.

Face à ce qui apparaît comme une lecture à géométrie variable d’un concept précieux pour notre démocratie, gageons que les musulmans de France auront tout loisir d’exprimer, dans le cadre de la loi, leur indignation et leur refus d’être salis dans leur dignité et d’être relégués au rang de citoyens de seconde zone. Gageons aussi que les quelques millions de concitoyens de référence musulmane se sentant « attaqués, offensés » ne seront pas classés dans la rubrique « obscurantistes, fanatiques, extrémistes et autres périls pour la République » !

Le droit de manifester pacifiquement, au même titre que la liberté journalistique, est garanti par notre constitution. Le limiter sous des motifs fallacieux constitue une régression flagrante et une atteinte aux droits fondamentaux et dans ce contexte précis, conforte à juste titre le sentiment d’un traitement différencié, asymétrique.

La « ligne » Valls n’a d’égale qu’une fermeté de principe dans son appréhension du fait musulman français. Lors de l’inauguration de la mosquée de Strasbourg, le Ministre de l’intérieur rappelle l’urgence pour ‘… l’islam de France pour qu’il prenne ses responsabilités et s’organise pour traiter avec l’Etat les vrais problèmes : financement des lieux de cultes, formation des imams et des aumôniers, gestion du pèlerinage à la Mecque.»

Là où la communauté musulmane de France attendait des mots d’apaisement à l’instar de la communauté juive « qui doit être fière de porter la kippa », M. Valls a renouvelé son discours de fermeté, alimentant encore l’amalgame. S’il faut clairement dénoncer toutes les formes d’extrémisme, sans aucune lecture ciblée, il est périlleux de promouvoir l’image d’une marge globalisée à l’ensemble d’une communauté quelle qu’elle soit. En sociologie des religions ce procédé a un nom : on essentialise.

Déconstruire les schémas entretenus, accumulés dans l’imaginaire collectif pour reconstruire du sens, de la fraternité, de l’humanité : l’enjeu n’est pas qu’une mince affaire de pédagogie.

Si l’erreur est humaine, indéniablement toutes les fautes ne se valent pas Monsieur Valls ! Il y a peu dans une lettre ouverte intitulée « Toutes les bêtises ne se valent pas M. Guéant ! » j’interpellais le prédécesseur de M. Valls sur la polémique des civilisations « inégales ».

Le tollé suscité à gauche, notamment, avait alors généré bien des polémiques et autres débats houleux. Où sont donc les expressions d’indignation à l’endroit d’un Ministre de l’Intérieur socialiste qui multiplie les déclarations très véhémentes à l’endroit de l’islam de France régulièrement maltraité politiquement et médiatiquement, quand il n’est pas appréhendé exclusivement sous l’angle sécuritaire et anxiogène ?

Certes, Monsieur Valls, les musulmans de France doivent procéder à une profonde introspection et être responsables. Ils doivent aussi se libérer des tutelles, de toutes les tutelles et s’assumer entièrement dans l’exercice de leur citoyenneté, loin de toute posture victimaire. En vous paraphrasant il devient impérieux que vous-même, en tant que Ministre chargé des cultes et l’Etat preniez vos responsabilités et que vous vous organisiez pour traiter avec l’islam de France les vrais problématiques dans un cadre de respect et sur des bases de confiance.

L’un des préalables réside dans la promotion d’une véritable instance représentative menée par des responsables compétents au service de leur pays et de leur communauté religieuse.

Il devient aussi urgent d’agir afin que l’islamophobie et ses expressions soient qualifiées de délits condamnables par la loi au même titre que le sont le racisme et l’antisémitisme. Dans ce registre, Il ne saurait y avoir d’indignation et de condamnation à géométrie variable. En ce faisant, c’est le socle même de l’état de droit qu’on affaiblit. A cet égard, nos responsables politiques ainsi que les médias sont comptables devant la nation dans la promotion des valeurs démocratiques et dans la cohésion du pays. Un pays, où parait-il « l’islam a toute sa place » !

Ne pas répondre aux pyromanes qui attisent les feux de la rancœur et de la subversion, ou plutôt répondre avec l’intelligence du cœur et de la raison en faisant prévaloir la loi, tel est l’enjeu de taille pour notre siècle en prise aux conflits idéologiques et à la torpeur globalisée d’un village planétaire qui tend à se recroqueviller sur lui-même.

Conjurer les marchands de haine par la force du stoïcisme pour ne pas succomber à la tentation de l’effet-miroir, tel est le défi pour nos concitoyens musulmans. S’engager tous ensemble dans la promotion d’une société qui replace au centre de ses valeurs deux maitres-mots, RESPECT et DIGNITE, constitue un autre enjeu crucial pour les générations futures.

Kamel Meziti
Historien des religions, enseignant-chercheur
(article paru sur le site oumma.com), avec l’aimable autorisation de l’auteur

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