Lettre à Siné

Mon cher Bob

De retour de quelques jours de vacances, c’est avec écoeurement que j’apprends ton éviction de Charlie Hebdo. Je voudrais en la circonstance t’exprimer en mon nom personnel ma solidarité devant cette violente, cruelle et inélégante façon de congédier l’une des figures emblématiques de Charlie Hebdo dont la plume a largement contribué à en façonner l’identité.

Avec tristesse, comme tout lecteur de Charlie Hebdo et comme compagnon de route de certains de ses combats, j’ai péniblement constaté – malgré une réelle diversité d’expressions individuelles au sein de la rédaction – que la ligne éditoriale impulsée par Philippe Val s’est mise en berne au travers de certaines affaires et prises de position, sous l’ affichage clamé et proclamé d’universalisme, de lutte pour la liberté d’expression et la défense de la laïcité.

J’ai pu entrevoir une dérive dans l’émergence de positions et d’attitudes souvent marquées du sceau de la stigmatisation ou de la caricature à l’endroit de ceux qui pouvaient avoir une politique différente de celle dictée par Philippe Val.

En la circonstance, ce qui me parait tout d’abord inquiétant, c’est le soudain retournement de la rédaction contre l’un des siens dont elle ne s’était en rien demarquée dans le passé. Or, aujourd’hui, elle n’hésite pas à sonner l’halali.

Et ce, une fois de plus et une fois de trop, par cette irresponsable instrumentalisation de l’antisémitisme, machination blessante et humiliante dont Daniel Mermet, Charles Enderlin, Edgar Morain et moi-même avons déjà été les victimes.

C’est chaque fois la poursuite du même objectif par une et même méthode : faire taire – au nom prétendu de l’universalisme – les voix qui refusent que soit rejetée dans les angles morts de la vie publique la solidarité avec le peuple palestinien.

C’est chaque fois la même logique, les mêmes acteurs, les mêmes procédés, mis au service d’une entreprise de dénigrement qui salit et impose aux antiracistes de devoir se justifier face à l’ignoble accusation d’antisémitisme.

Au-delà des griefs qui te sont faits aujourd’hui, je crois que tu paies cash ton indéfectible soutien à la cause palestinienne qui s’inscrit dans le prolongement naturel de tes engagement anticolonialistes et de ta constante solidarité avec les opprimés.

C’est pourquoi, mon cher Bob, j’appuie ta démarche qui consiste à vouloir laver l’affront qui est fait à ton intégrité, à tes valeurs et à ta dignité, en portant plainte contre Claude Askolovitch. C’est là le seul recours et un rempart qui peut certes soulager. Mais, pour en avoir fait l’ expérience personnelle, il en reste toujours des traces douloureuses que les « lyncheurs » continuent d’entretenir, malgré même les condamnations dont ils ont pu faire l’objet..

Plus grave encore est l’irresponsable service rendue à l’antisémitisme lui même. En effet, oser taxer sans discernement, des antiracistes sincères d’antisémitisme, c’est prendre le grave risque de banaliser et galvauder ce dernier, lui faisant perdre son efficacité de sceau infamant. Enfin, c’est aussi amoindrir le camp des militants du combat contre toutes les formes de racisme qui plus que jamais ont besoin de se rassembler et surtout pas de se diviser.

Devant cette épreuve, reçois mon cher Bob mon indéfectible solidarité et sache que je reste à ta disposition pour toute aide que tu jugeras utile. Bon courage. Amitiés.

Mouloud Aounit

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